Robert McCammon

Extrait de
SWAN SONG

IL FUT UN TEMPS

 

Washington, D.C.
16 Juillet, 22 h 27

Il fut un temps où l’homme vivait une histoire d’amour avec le feu, songeait le président des États-Unis en contemplant au bout de ses doigts l’allumette qu’il venait de craquer pour sa pipe.

Il plongea son regard dans la flamme, comme hypnotisé par sa couleur, et alors qu’elle grandissait sous ses yeux, il eut une vision:: une tornade de feu de centaines de mètres de haut en train de ravager ce pays qu’il aimait tant, réduisant en fumée villes et villages, transformant les fleuves en vapeur, tournoyant au milieu des fermes en ruines au cœur des terres et vomissant vers un ciel noir les cendres de centaines de millions d’êtres humains.

Il fixa avec une fascination morbide la flamme qui montait de l’allumette, se disant soudain qu’il avait là, sous les yeux, en miniature, une puissance aussi créatrice que destructrice:: elle pouvait aussi bien servir à cuire des aliments, illuminer les ténèbres ou fondre le métal qu’à brûler les chairs. Soudain, au centre de la flamme apparut quelque chose qui ressemblait à un œil minuscule, écarlate et sans paupière, et il faillit crier.

Cette nuit-là, il s’était réveillé en sursaut vers deux heures du matin, secoué par un cauchemar d’holocauste, et s’était alors mis à pleurer sans pouvoir s’arrêter. La Première dame avait eu beau essayer de le calmer, il avait continué à sangloter, parcouru de spasmes, tel un enfant. Il était allé s’installer dans le bureau Ovale jusqu’au petit matin, parcourant encore et encore des cartes et des rapports top secret. Mais ces documents disaient tous la même chose:: Première frappe.

La flamme lui brûla les doigts. Il secoua l’allumette, qu’il laissa tomber dans le cendrier gravé du sceau présidentiel. Une minuscule volute de fumée commença à monter, aspirée par la bouche d’aération.

«:Monsieur le Président:?:», prononça une voix.

Levant les yeux, il aperçut un groupe d’inconnus assis avec lui dans la salle de crise, puis une carte du monde ultra-détaillée sur un écran géant fixé au mur, ainsi qu’une batterie de téléphones et d’écrans disposés en demi-cercle autour de lui, tel le cockpit d’un avion de chasse. Dieu du Ciel, se dit-il alors, si seulement c’était un autre assis dans ce fauteuil, et que j’étais encore sénateur et que je ne connaissais pas la vérité…

«:Monsieur le Président:?:»

Il se passa la main sur le front. Il était parcouru d’une sueur glacée. Bien le moment d’attraper une grippe, se dit-il, et il faillit éclater de rire devant l’absurdité de la chose. Un président, ça n’a pas d’arrêt maladie, parce qu’un président n’est pas censé tomber malade. Il tenta de se concentrer pour savoir qui, autour de la table, s’adressait ainsi à lui.

Tous le dévisageaient:: le Vice-Président, nerveux et sournois:; l’amiral Narramore, droit comme un I, engoncé dans son uniforme à la poitrine couverte de décorations:; le général Sinclair, vif et alerte, les yeux comme deux billes de verre bleu dans un visage buriné:; le secrétaire à la Défense Hannan, aussi affable que le grand-père idéal, mais surnommé «:Hans d’Acier:» par les journalistes comme par son cabinet:; le général Chivington, l’expert le plus reconnu en puissance militaire soviétique:; le chef de cabinet Bergholz, coupe en brosse et vêtu comme toujours d’un élégant costume bleu marine à fines rayures:; et tout un aréopage ­d’officiers et conseillers militaires.

«:Oui:?:», répondit le Président à Bergholz.

Hannan allongea le bras pour prendre un verre d’eau dont il but une petite gorgée avant de reprendre:: «:Monsieur le Président:? Je vous demandais si vous souhaitiez que je poursuive.:»

Et il tapota la page du rapport qu’il était en train de lire à voix haute.
Ah… Ma pipe est éteinte, se dit-il. Ne l’ai-je pas allumée, à l’instant:?

Il regarda l’allumette consumée dans le cendrier, se demandant comment elle était arrivée là. Pendant une seconde, il eut une autre vision:: le visage de John Wayne, tiré de l’un de ces vieux films en noir et blanc qu’il avait vus gamin:; il disait quelque chose sur le point de non-retour.

«:Oui, enchaîna le Président. Poursuivez.:»

Hannan jeta un coup d’œil aux autres participants. Tous avaient reçu un exemplaire du rapport avant que la réunion ne commence, en même temps qu’une montagne de topos estampillés secret-défense, fraîchement sortis des télex du NORAD et du SAC.

«:Il y a moins de trois heures, continua Hannan, notre dernier satellite espion SKY EYE a été aveuglé alors qu’il se mettait en position au-dessus de Khatyrka, en Russie. Nous avons perdu l’intégralité des capteurs optiques et des caméras et, comme dans le cas des six autres, nous pensons que celui-ci a été détruit par un laser terrestre, probablement installé à proximité de Magadan.

Vingt minutes après la neutrali­sation de SKY EYES 7, nous avons utilisé notre propre laser Malmstrom AFB pour aveugler un satellite espion soviétique qui survolait le Canada. D’après nos calculs, ça leur laisse deux satellites disponibles:; l’un au-dessus du Pacifique Nord, l’autre au-dessus de la frontière Iran-Irak.

La NASA tente actuellement de réparer SKY EYES 2 et 3, mais les autres sont bons pour la casse cosmique. Ce que ça signifie, Monsieur le Président, résuma Hannan en regardant l’horloge digitale sur le mur de béton, c’est que, depuis environ trois heures, heure de la côte est, nous sommes aveugles. Les dernières photos satellite ont été prises à dix-huit heures trente minutes au-dessus de Jelgava.:»

Allumant un micro qui sortait de la console devant lui, il annonça:: «:Photos SKY EYES 7-16, merci.:» Il y eut une pause de quelques secondes, le temps pour l’ordinateur d’afficher les documents demandés. Sur l’immense écran, la carte du monde devint noire et fut remplacée par une photo de haute altitude où l’on apercevait une étendue d’épaisse forêt. Au centre de l’image, une grappe de points lumineux reliés entre eux par des routes minuscules.

«:Fois douze:», ordonna Hannan, dont les lunettes aux montures d’écaille reflétaient l’image projetée sur l’écran.
Quand la photo fut agrandie, les centaines de silos à missiles intercontinentaux apparurent aussi clairement que si l’écran mural avait été une baie vitrée. Sur les routes, on voyait des camions dont les roues soulevaient de la poussière, et même des soldats positionnés près des bunkers de béton et des antennes radar circulaires de la base.

«:Comme vous pouvez le voir, poursuivit Hannan, la voix posée, quelque peu détachée, qui caractérisait sa précédente profession (il enseignait l’histoire militaire et l’économie à Yale), ils se préparent à quelque chose. À mon avis, ils sont en train de renforcer le matériel radar et d’armer toutes ces têtes nucléaires. On compte deux cent soixante-trois silos à missile rien que sur cette base, ce qui doit faire plus de six cents têtes. C’est deux minutes après cette photo que le SKY EYE a été aveuglé. Mais cette image ne fait que confirmer ce que nous savions déjà:: les Russes sont passés à un niveau d’alerte supérieur, et ils ne veulent surtout pas que l’on voie ce qu’ils ache­minent. Ce qui nous conduit au rapport du général Chivington. Général:?:»

Chivington, immédiatement imité par les autres parti­cipants, rompit le cachet de cire qui scellait un dossier vert posé devant lui. À l’intérieur se trouvaient des pages et des pages de documents, de graphiques et de diagrammes.

«:Messieurs, commença-t-il d’une voix rauque, dans les neuf derniers mois la machine de guerre russe s’est mobilisée pour tourner désormais à plus de 85 % de sa capacité maximale théorique. Inutile de vous rappeler l’Afghanistan, l’Amérique du Sud ou le Golfe Persique, mais j’aimerais attirer votre at­tention sur le document codé double 6 double 3. Il s’agit d’un diagramme qui montre le pourcentage de ravitaillement consacré à leur système de défense civile, et vous pouvez voir par vous-mêmes qu’il est monté en flèche depuis deux mois. D’après nos sources de renseignements, c’est désormais plus de quarante pour cent des populations urbaines qui ont quitté les villes ou ont investi des abris antiatomiques…:»

Alors que Chivington continuait à parler, le Président, lui, se remémorait ces épouvantables derniers jours de la guerre d’Afghanistan, huit mois auparavant, des attaques au gaz et des frappes nucléaires tactiques.

Et une semaine après la chute de l’Afghanistan, cette mini-bombe nucléaire de douze kilotonnes et demie qui avait explosé dans un immeuble de Beyrouth, réduisant cette ville déjà martyre à un paysage lunaire de ruines radioactives.

La moitié de sa population avait été anéantie sur le coup. Des groupes terroristes divers et variés s’étaient bousculés pour revendiquer l’attentat, ­promettant que la foudre d’Allah allait très bientôt s’abattre à nouveau.

Avec cette bombe, c’est la boîte de Pandore de la terreur qui s’était ouverte.

Le 14 mars, l’Inde attaquait le Pakistan à l’arme chimique. Le Pakistan répliquait par une frappe de missiles sur la ville de Jaipur. Il avait suffi de trois projectiles nucléaires indiens pour rayer Karachi de la carte, et la guerre s’était ensuite enlisée dans les étendues désolées du désert du Thar.

Le 2 avril, c’est l’Iran qui faisait pleuvoir des missiles nucléai­res soviétiques sur l’Irak, et les forces américaines s’étaient vu aspirées dans ce maelstrom en tentant de contenir les forces terrestres iraniennes. Chasseurs soviétiques et américains s’étaient livré bataille au-dessus du Golfe Persique, et à présent, la région tout entière menaçait de s’embraser.

Des guerres frontalières avaient éclaté par vagues successives dans toute l’Afrique du Nord et l’Afrique australe. Les plus petits pays vidaient leurs réserves de devises pour acheter des engins chimiques et atomiques à des marchands d’armes. Les alliances changeaient d’un jour à l’autre, parfois en raison des pressions militaires, parfois des balles de snipers.

Le 4 mai, à moins de vingt kilomètres de Key West, un pilote de F-18 américain à la gâchette un peu facile balançait un missile air-mer dans le flanc d’un sous-marin russe déjà neutralisé. Ce qui avait immédiatement attiré des MIG russes basés à Cuba qui, surgissant à l’horizon dans un grondement de tonnerre, avaient abattu le pilote en question, ainsi que deux autres avions d’une escadrille qui arrivait en renfort.

Neuf jours plus tard, ce sont deux sous-marins, un russe et un américain, qui entraient en collision en jouant au chat et la souris dans l’Arctique. Et deux jours après, les radars du système d’Alerte Distant canadien repéraient une nuée de petits points lumineux:: vingt appareils en approche.Toutes les bases aériennes de l’Ouest des États-Unis étaient passées en alerte rouge, mais les intrus avaient fait demi-tour pour prendre la fuite avant d’être interceptés.

Le 16 mai, toutes les bases aériennes américaines passaient en Defcon 4. Moins de deux heures après, les Russes faisaient de même. Pour ne rien arranger à la tension, le même jour un engin nucléaire explosait dans le complexe Fiat à Milan, en Italie:; attentat revendiqué par un groupe terroriste à ­ascendance communiste nommé L’Étoile Rouge de la Liberté.

Les incidents entre navires de guerre, sous-marins et avions s’étaient poursuivis en mai et en juin en Atlantique Nord et dans le Pacifique Nord. Les bases aériennes américaines étaient déjà passées en Defcon 3 lorsqu’un croiseur avait coulé suite à une explosion d’origine inconnue, à trente milles nautiques au large de l’Oregon.

Il n’était plus rare d’observer des sous-marins étrangers dans les eaux territoriales, et des sous-marins américains étaient envoyés à leur tour pour tester les capacités de défense ennemies. Les activités de leurs bases de missiles intercontinentaux étaient enregistrées par les satellites SKY EYE avant qu’ils ne soient mis hors d’usage. Le Président savait qu’ils avaient vu les activités des bases U.S. avant que leurs propres satellites ne soient aveuglés à leur tour.

Au 13 juin de cet «:Été de la Terreur:», comme l’avaient surnommé les magazines, le Tropic Panorama, un navire de croisière qui transportait sept cents passagers entre Hawaï et San Francisco, envoyait un message radio:: il était suivi par un sous-marin non identifié.

Ce message avait été le dernier du Tropic Panorama.

Depuis ce jour-là, les navires de guerre américains qui patrouillaient dans le Pacifique tenaient leurs missiles nucléaires armés et prêts au lancement.

Le Président se remémora Écrit dans le ciel, un film sur l’odyssée d’un avion en détresse, prêt à s’écraser. Le pilote, en l’occurrence John Wayne, parlait à l’équipage du point de non-retour, ce point au-delà duquel l’appareil ne peut plus faire machine arrière, mais doit continuer sa route quoi qu’il advienne.

Depuis quelque temps, en son for intérieur, le Président avait franchi à bien des reprises ce point de non-retour. Il avait rêvé qu’il était aux commandes d’un avion en perdition, volant au-dessus d’un océan sombre et plein de menaces, à la recherche de points lumineux indiquant la terre. Mais les instruments étaient hors d’usage et l’avion tombait et tombait encore, les cris des passagers résonnant dans sa tête.

Je veux redevenir un enfant, se dit-il, alors que les regards convergeaient tous vers lui. Mon Dieu, je ne veux plus être aux commandes:!

Le général Chivington avait terminé son rapport.

«:Merci:», dit le Président, bien qu’il ne fût pas vraiment certain d’avoir saisi ce qui avait été dit. Il sentait les yeux de ces hommes braqués sur lui. Des hommes qui attendaient qu’il parle, qu’il bouge, qu’il fasse quelque chose.

Il était plutôt beau, solide et les cheveux toujours noirs à bientôt cinquante ans:; il avait été pilote de chasse, astronaute dans la navette spatiale Olympian, l’un des premiers à évoluer dans l’espace équipé d’un réacteur dorsal. En contemplant l’immense courbe de la Terre, traver­sée de bancs de nuages, il avait été ému aux larmes, et son commentaire transmis par radio – «:Je crois que je sais ce que Dieu doit ressentir, Houston:» – avait été déterminant pour son élection à la présidence.

Et pourtant, il avait hérité des erreurs de ses prédécesseurs, cette ridicule naïveté devant le monde à l’aube du XXIe siècle.
L’économie, après un rebond, s’était effondrée en une spirale incontrôlable.

Le taux de criminalité avait explosé, les prisons ressemblaient à des abattoirs pleins à craquer. Partout en Amérique, c’étaient des centaines de milliers de sans-abri (la «:Nation de haillons:» comme les avait surnommés le New York Times) qui erraient dans les rues, trop démunis pour trouver un refuge, incapables de résister à la pression mentale d’un monde qui courait vers l’abîme.

Le programme militaire «:Guerre des étoiles:», qui avait coûté des milliards de dollars, s’était révélé catastrophique, car on avait compris, mais trop tard, que les machines pouvaient travailler aussi bien que les humains, et la complexité des plateformes orbitales, qui défiait l’entendement, avait fait exploser le budget.

Les marchands d’armes avaient fourgué une technologie nucléaire aussi ­rudimentaire qu’instable à des nations du tiers-monde et à des dictateurs déséquilibrés, assoiffés de pouvoir, sur une scène internationale où les destins se faisaient et se défaisaient en quelques jours, voire quelques heures.

Les bombes de douze kilotonnes – à peu près la puissance de celle de Hiroshima – étaient désormais aussi répandues que les grenades à main et tenaient dans un attaché-case. Les émeutes qui éclataient à nouveau en Pologne, après les combats de rue à Varsovie l’hiver précédent, avaient fait descendre bien en dessous de zéro la température des relations russo-américaines, qui ne devaient guère se réchauffer suite au lamentable échec du plan de la CIA, désormais en disgrâce nationale, consistant à assassiner les leaders de la révolution polonaise

Nous sommes dangereusement proches du point de non-retour, se dit le Président, pris subitement d’une envie de rire, mais qui parvint, au prix d’un gros effort, à ne pas desserrer les lèvres.
De multiples rapports et opinions se bousculaient dans sa tête et allaient tous dans le sens de cette terrible conclusion:: les Russes préparaient une première frappe qui allait irrémédiablement détruire les États-Unis.

«:Monsieur le Président:? intervint à nouveau Hannan, brisant un silence embarrassé. C’est au tour de l’amiral Narra­more de nous délivrer son rapport. Amiral:?:»

Un nouveau sceau fut décacheté. L’amiral Narramore, grand sexagénaire décharné, se mit à détailler les informations ­classées top secret::

«:À dix-neuf heures et douze minutes, des hélicoptères de reconnaissance britanniques, qui patrouillaient autour du destroyer de missiles guidés Fife, ont largué des balises sonores qui ont confirmé la présence de six sous-marins non identifiés à une centaine de kilomètres de la côte des Bermudes, cap trois cents degrés. Si ces bâtiments s’approchaient de la côte nord-est, cela signifierait que leurs missiles sont en capacité d’atteindre New York, Newport News, nos bases aériennes sur toute la côte, la Maison Blanche et le Pentagone.:»

Il plongea son regard gris brumeux surmonté d’épais ­sourcils blancs dans les yeux du Président, assis en face de lui. La Maison Blanche était à moins d’une vingtaine de mètres au-dessus de leurs têtes.
«:Si on en a repéré six, poursuivit-il, vous pouvez être sûrs que les Russkofs doivent en avoir trois fois plus dans le coin. Ils peuvent nous écraser sous plusieurs centaines de têtes nucléaires, et ça ne prendrait que cinq à neuf minutes.:»

Il tourna la page.

«:Il y a une heure, les douze sous-marins soviétiques Delta II repérés à quatre cent dix-huit kilomètres au nord-ouest de San Francisco étaient toujours dans la même position.:»

Le Président se sentit cotonneux, comme si tout ça n’était qu’un rêve éveillé. Réfléchis:! s’ordonna-t-il. Réfléchis, incapable:!

«:Et les nôtres, Amiral, où sont-ils:?:», s’entendit-il demander sans reconnaître sa propre voix.

Narramore fit apparaître une autre carte sur l’écran mural. On y voyait toute une ligne de petits points lumineux qui clignotaient à un peu plus de trois cents kilomètres de Mour­mansk en Sibérie. Puis une nouvelle carte, cette fois de la Mer Baltique, avec une autre armada de sous-marins déployés au nord-ouest de Riga. Une troisième montrait la côte est de la Russie, avec une ligne de sous-marins en position dans la mer de Bering, entre l’Alaska et les territoires russes.

«:On les a coincés dans un cercle de fer, expliqua Narramore. Un mot de vous, et on coule tout ce qui essaie de passer.

— Je crois que la situation est claire, reprit Hannan d’une voix tranquille et ferme. Il faut qu’on les fasse reculer.:»
Le Président resta un moment silencieux, tentant de mettre une pensée logique devant l’autre. Il avait les mains moites.

«:Et si… s’ils n’étaient pas en train de préparer une première frappe:? Si eux croyaient que c’est nous qui allions frapper:? Si on fait usage de la force, est-ce ce que ça ne va pas les pousser à l’irréparable:?:»
Hannan sortit une cigarette d’un étui d’argent et l’alluma. Le regard du Président fut à nouveau attiré par la flamme.

«:Monsieur le Président, répondit-il d’une voix douce, comme s’il s’adressait à un enfant, s’il y a une seule et unique chose que les Russes respectent, c’est la force brute. Vous le savez aussi bien que tous ceux présents ici, notamment depuis l’incident dans le Golfe Persique. Ils veulent conquérir des territoires, et pour ça, ils sont prêts à nous détruire, quelles que soient les pertes de leur côté. Nom de Dieu, leur économie est encore plus mal que la nôtre:! Ils vont nous pousser et nous pousser encore, jusqu’à ce qu’on cède ou qu’on frappe, et si on attend trop avant de frapper, alors puisse Dieu nous venir en aide.

— Non:!:», se récria le Président en secouant la tête. La question avait été posée maintes et maintes fois, et l’idée même le rendait malade. «:Non. Nous ne frapperons pas les premiers.

— Les Russes, poursuivit patiemment Hannan, ne compren­nent que la diplomatie du bâton. Je ne dis pas qu’il faut les détruire. Mais je suis un fervent partisan de l’idée que le temps est venu de leur faire savoir, et sans équivoque, que nous ne nous laisserons pas faire, que nous n’admettrons pas que leurs sous-marins nucléaires traînent près de nos côtes à attendre les codes de lancement:!:»

Le Président regarda fixement ses mains. Le nœud de sa cravate le serrait comme la corde d’un pendu. Il sentait la sueur perler sous ses bras et dans le creux de ses reins.

«:Ce qui veut dire:? interrogea-t-il.

— Ce qui veut dire qu’il faut qu’on intercepte immédia­tement ces satanés sous-marins. On les détruit s’ils ne veulent pas faire demi-tour. On bascule en Defcon 2 sur toutes les bases aériennes et bases de missiles ICBM.:»

Hannan jeta un coup d’œil à la ronde pour voir qui se rangeait à son avis. Seul le Vice-Président détourna le regard, mais Hannan savait qu’il était faible et que son opinion n’avait aucun poids.
«:On intercepte tout bâtiment nucléaire qui quitte Riga, Mourmansk ou Vladivostok. On reprend le contrôle maritime, et si ça signifie un engagement nucléaire tactique, tant pis.

— Un blocus, résuma le Président. Est-ce que ça ne va pas les rendre encore plus décidés à combattre:?

— Monsieur le Président, intervint le général Sinclair de son accent traînant de Virginie, à mon avis, le raisonnement doit être le suivant:: les Rouges doivent croire qu’on est prêts à risquer nos vies pour les envoyer ad patres. Et en toute honnêteté, je ne crois pas qu’il y ait un seul homme dans cette pièce qui va les laisser tranquillement nous balancer une chiée de missiles mer-sol sans leur taper sur la gueule avant. Peu importe le bilan.:»

Il se pencha en avant, transperçant le Président du regard.

«:Je peux faire passer le SAC et le NORAD en Defcon 2 en deux minutes si vous le demandez. Je peux envoyer un escadron de B-1 à leurs frontières en une heure. Juste histoire de les secouer gentiment, vous voyez:?

— Mais… ils vont penser que c’est nous qui attaquons:!

— Ce qui est important, c’est qu’ils comprennent qu’on ­n’hési­tera pas:», répliqua Hannan en tapotant sa cigarette au-dessus du cendrier. Si c’est dingue, c’est dingue. Mais merde, ils respectent plus la folie que la peur:! Si on les laisse expédier des missiles nucléaires sur nos côtes sans lever le petit doigt, alors on signe l’arrêt de mort des États-Unis:!:»

Le Président ferma les yeux. Et se força à les rouvrir. Il avait vu des villes en flammes et des êtres humains calcinés, réduits à des tas de cendres. Il eut beaucoup de peine à articuler:: «:Je… je ne veux pas être l’homme qui aura déclenché la Troisième Guerre mondiale. Vous le comprenez, ça:?

— Elle a déjà commencé, répliqua Sinclair, élevant la voix. La terre entière est en guerre, et on attend que l’un de nous donne le coup de grâce. Peut-être que l’avenir du monde dépend uniquement de celui qui aura eu le courage de se mon­trer le plus excessif:! Je suis d’accord avec Hans:: si on n’agit pas maintenant, c’est le ciel qui va nous tomber sur la tête:!

— Ils reculeront, affirma Narramore d’un ton catégorique. C’est arrivé auparavant. Si on envoie des sous-marins d’attaque s’occuper de leurs sous-marins, alors ils sauront où est la ligne rouge. Alors:? On attend tranquillement ou on leur montre de quoi on est capables:?

— Monsieur le Président:? insista Hannan en jetant encore un coup d’œil à l’horloge, qui indiquait à présent 22 h 58. Je crois que la décision vous appartient, désormais.:»

Je ne veux pas:! faillit-il hurler. Il avait besoin de temps, pour aller à Camp David, ou bien partir pour une de ces longues expéditions de pêche qu’il aimait tant à l’époque où il était sénateur.

Malheureusement, le temps était compté. Ses mains étaient crispées devant lui. Son visage était si raide qu’il eut peur de le sentir se fissurer et tomber en morceaux tel un masque:; or il n’avait aucune envie de voir ce qu’il y avait dessous. Quand il releva les yeux, ces sommités étaient toujours là, aux aguets, et il sentit que ses sens lui échappaient comme dans un tourbillon.

La décision. Il fallait la prendre, là, immédiatement.

«:Oui.:» Jamais auparavant le mot n’avait résonné de manière aussi effroyable. «:Très bien. On passe…:» Il s’interrompit pour prendre une profonde inspiration. «:On passe en Defcon 2. Amiral, mettez vos forces en alerte. Général Sinclair, je ne veux pas que ces B-1 pénètrent ne serait-ce d’un seul centimètre leur espace aérien. Est-ce bien clair:?

— Mes pilotes peuvent raser leur frontière les yeux fermés.

— Entrez vos codes.:»

Sinclair s’activa sur le clavier de la console, avant de prendre son téléphone pour donner le feu vert au Strategic Air Command à Omaha et au NORAD, dans sa forteresse de Cheyenne Mountain, dans le Colorado. L’Amiral Narramore décrocha le combiné qui le reliait directement au PC des opérations navales au Pentagone.

D’ici quelques minutes, ce serait le branle-bas de combat sur toutes les bases aériennes et navales. Les codes déclenchant le Defcon 2 résonneraient bientôt dans les câbles, et on allait vérifier une nouvelle fois les équipements radar, les capteurs, les moniteurs, les ordinateurs et les centaines d’autres matériels militaires de haute technologie, en même temps que les dizaines de missiles de croisière et les milliers de têtes nucléaires cachés dans leurs silos ­dis­sé­minés dans tout le Midwest, depuis le Montana jusqu’au Kansas.

Le Président était pétrifié. La décision était prise. Le chef de cabinet Bergholz mit fin à la réunion, puis s’avança vers lui pour saisir son épaule en l’assurant que c’était vraiment une bonne, une très bonne décision. Conseillers militaires et hauts fonctionnaires quittèrent la salle de crise pour se diriger vers l’ascenseur du vestibule, mais le Président resta assis, seul. Sa pipe était froide et il n’avait même pas envie de la rallumer.

«:Monsieur le Président:?:»

Il sursauta, tournant la tête en direction de la voix. C’était Hannan, debout près de la porte.

«:Ça va:?

— Paré, dit le Président avec un petit sourire, se souvenant de ses heures de gloire, du temps où il était astronaute. Non, en fait. Mon Dieu, j’en sais rien. Oui, je pense que oui.

— Vous avez pris la bonne décision. Nous le savons tous les deux. Il faut qu’ils comprennent que nous n’avons pas peur.

— Mais moi, j’ai peur, Hans. Je crève de peur.

— Moi aussi. Et les autres aussi. Mais il ne faut pas qu’on se laisse gouverner par cette peur.:» Il revint vers la table et se mit à feuilleter certains des dossiers. Dans quelques minutes, un jeune agent de la CIA allait entrer, chargé de passer l’intégralité des documents à la broyeuse. «:Je pense que vous feriez sans doute bien d’envoyer Julianne et Cory au Sous-sol ce soir, dès qu’ils auront fait leurs bagages. De notre côté, nous allons voir ce qu’on raconte à la presse.:»

Le Président hocha la tête. Le «:Sous-sol:» était un abri antiatomique, dans le Delaware où la Première dame, leur fils de dix-sept ans, ainsi que des membres du cabinet et de l’état-major seraient, du moins l’espérait-on, protégés de tout, sauf d’une éventuelle frappe directe par une tête d’une mégatonne.

Depuis que l’existence de cette construction haut de gamme avait fuité, plusieurs années auparavant, de tels abris souterrains avaient poussé comme des champignons à travers le pays, certains aménagés dans d’anciennes mines, d’autres dans des montagnes. Le business survivaliste était plus que jamais florissant.

«:Il y a un autre sujet à aborder, reprit Hannan tandis que le Président apercevait son propre reflet, celui d’un homme las, aux orbites creusées, dans les lunettes de son secrétaire à la Défense. Les Dents.

— Ce n’est pas encore le moment, gémit-il, l’estomac noué. Pas encore.

— Si. Il est temps. Je pense que vous seriez plus en sécurité au Centre de commandement aérien. La Maison Blanche fera partie des premières cibles. Moi, j’envoie Paula au Sous-sol, et comme vous le savez, vous avez le pouvoir d’y emmener n’importe qui d’autre. Mais, si vous m’y autorisez, j’aimerais être avec vous au Centre de commandement.

— Oui, bien sûr. Il faut que vous restiez avec moi.

— À bord, poursuivit Hannan, il y aura un officier de l’Air Force, qui aura une mallette attachée au poignet par des menottes. Vous connaissez vos codes:?

— Je les connais.:»

Ces codes, cela faisait partie des premières choses qu’il avait mémorisées en prenant ses fonctions. Il sentit comme une main de fer lui paralyser la nuque. «:Mais… je ne vais pas devoir m’en servir, n’est-ce pas, Hans:? demanda-t-il d’un ton presque suppliant.

— Sans doute pas. Mais si c’était le cas, si jamais c’était le cas, il faudra vous rappeler qu’à ce stade, l’Amérique que nous aimons sera morte, et qu’aucun envahisseur n’a jamais, et n’aura jamais mis un seul pied sur notre sol.:» Puis, saisissant l’épaule du Président dans un geste paternel:: «:Vous avez compris:?

— Le point de non-retour… murmura le Président, le regard vitreux et distant.

— Quoi:?

— Nous sommes sur le point de franchir le point de non-retour. Peut-être même l’avons-nous déjà franchi, et qu’il est trop tard pour faire machine arrière. Dieu nous protège, nous volons dans les ténèbres sans savoir où nous allons.

— On le saura quand on y sera. Ça a toujours été le cas jusqu’ici.

— Hans:? interrogea le Président, d’une voix aussi faible que celle d’un enfant. Si… si vous étiez Dieu, vous détruiriez ce monde:?:»
Hannan resta silencieux pendant un moment.

«:Je suppose… que j’attendrais de voir. Enfin, si j’étais Dieu.

— De voir quoi:?

— Qui aura gagné. Les bons ou les méchants.

— Y a-t-il encore une différence:?:»

Hannan marqua une pause. Il fit mine de répondre, et puis comprit qu’il en était bien incapable. «:Je vais appeler l’ascenseur:», lança-t-il avant de sortir de la Salle de crise.

Le Président desserra ses mains crispées. Les éclairages du plafond faisaient scintiller les boutons de manchette marqués du sceau présidentiel qu’il portait toujours.

Je suis paré, se dit-il. Tous systèmes parés.
Et d’un seul coup, quelque chose se brisa en lui et il faillit se mettre à pleurer. Il voulait rentrer chez lui. Mais chez lui, c’était bien loin de ce fauteuil.

«:Monsieur le Président:?:»

C’était Hannan.

Lentement, raide comme un vieillard, le Président se leva et quitta la pièce pour faire face au futur.

 

Robert McCammon

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SWAN SONG

IL FUT UN TEMPS

 

Washington, D.C.
16 Juillet, 22 h 27

Il fut un temps où l’homme vivait une histoire d’amour avec le feu, songeait le président des États-Unis en contemplant au bout de ses doigts l’allumette qu’il venait de craquer pour sa pipe.

Il plongea son regard dans la flamme, comme hypnotisé par sa couleur, et alors qu’elle grandissait sous ses yeux, il eut une vision:: une tornade de feu de centaines de mètres de haut en train de ravager ce pays qu’il aimait tant, réduisant en fumée villes et villages, transformant les fleuves en vapeur, tournoyant au milieu des fermes en ruines au cœur des terres et vomissant vers un ciel noir les cendres de centaines de millions d’êtres humains.

Il fixa avec une fascination morbide la flamme qui montait de l’allumette, se disant soudain qu’il avait là, sous les yeux, en miniature, une puissance aussi créatrice que destructrice:: elle pouvait aussi bien servir à cuire des aliments, illuminer les ténèbres ou fondre le métal qu’à brûler les chairs. Soudain, au centre de la flamme apparut quelque chose qui ressemblait à un œil minuscule, écarlate et sans paupière, et il faillit crier.

Cette nuit-là, il s’était réveillé en sursaut vers deux heures du matin, secoué par un cauchemar d’holocauste, et s’était alors mis à pleurer sans pouvoir s’arrêter. La Première dame avait eu beau essayer de le calmer, il avait continué à sangloter, parcouru de spasmes, tel un enfant. Il était allé s’installer dans le bureau Ovale jusqu’au petit matin, parcourant encore et encore des cartes et des rapports top secret. Mais ces documents disaient tous la même chose:: Première frappe.

La flamme lui brûla les doigts. Il secoua l’allumette, qu’il laissa tomber dans le cendrier gravé du sceau présidentiel. Une minuscule volute de fumée commença à monter, aspirée par la bouche d’aération.

«:Monsieur le Président:?:», prononça une voix.

Levant les yeux, il aperçut un groupe d’inconnus assis avec lui dans la salle de crise, puis une carte du monde ultra-détaillée sur un écran géant fixé au mur, ainsi qu’une batterie de téléphones et d’écrans disposés en demi-cercle autour de lui, tel le cockpit d’un avion de chasse. Dieu du Ciel, se dit-il alors, si seulement c’était un autre assis dans ce fauteuil, et que j’étais encore sénateur et que je ne connaissais pas la vérité…

«:Monsieur le Président:?:»

Il se passa la main sur le front. Il était parcouru d’une sueur glacée. Bien le moment d’attraper une grippe, se dit-il, et il faillit éclater de rire devant l’absurdité de la chose. Un président, ça n’a pas d’arrêt maladie, parce qu’un président n’est pas censé tomber malade. Il tenta de se concentrer pour savoir qui, autour de la table, s’adressait ainsi à lui.

Tous le dévisageaient:: le Vice-Président, nerveux et sournois:; l’amiral Narramore, droit comme un I, engoncé dans son uniforme à la poitrine couverte de décorations:; le général Sinclair, vif et alerte, les yeux comme deux billes de verre bleu dans un visage buriné:; le secrétaire à la Défense Hannan, aussi affable que le grand-père idéal, mais surnommé «:Hans d’Acier:» par les journalistes comme par son cabinet:; le général Chivington, l’expert le plus reconnu en puissance militaire soviétique:; le chef de cabinet Bergholz, coupe en brosse et vêtu comme toujours d’un élégant costume bleu marine à fines rayures:; et tout un aréopage ­d’officiers et conseillers militaires.

«:Oui:?:», répondit le Président à Bergholz.

Hannan allongea le bras pour prendre un verre d’eau dont il but une petite gorgée avant de reprendre:: «:Monsieur le Président:? Je vous demandais si vous souhaitiez que je poursuive.:»

Et il tapota la page du rapport qu’il était en train de lire à voix haute.
Ah… Ma pipe est éteinte, se dit-il. Ne l’ai-je pas allumée, à l’instant:?

Il regarda l’allumette consumée dans le cendrier, se demandant comment elle était arrivée là. Pendant une seconde, il eut une autre vision:: le visage de John Wayne, tiré de l’un de ces vieux films en noir et blanc qu’il avait vus gamin:; il disait quelque chose sur le point de non-retour.

«:Oui, enchaîna le Président. Poursuivez.:»

Hannan jeta un coup d’œil aux autres participants. Tous avaient reçu un exemplaire du rapport avant que la réunion ne commence, en même temps qu’une montagne de topos estampillés secret-défense, fraîchement sortis des télex du NORAD et du SAC.

«:Il y a moins de trois heures, continua Hannan, notre dernier satellite espion SKY EYE a été aveuglé alors qu’il se mettait en position au-dessus de Khatyrka, en Russie. Nous avons perdu l’intégralité des capteurs optiques et des caméras et, comme dans le cas des six autres, nous pensons que celui-ci a été détruit par un laser terrestre, probablement installé à proximité de Magadan.

Vingt minutes après la neutrali­sation de SKY EYES 7, nous avons utilisé notre propre laser Malmstrom AFB pour aveugler un satellite espion soviétique qui survolait le Canada. D’après nos calculs, ça leur laisse deux satellites disponibles:; l’un au-dessus du Pacifique Nord, l’autre au-dessus de la frontière Iran-Irak.

La NASA tente actuellement de réparer SKY EYES 2 et 3, mais les autres sont bons pour la casse cosmique. Ce que ça signifie, Monsieur le Président, résuma Hannan en regardant l’horloge digitale sur le mur de béton, c’est que, depuis environ trois heures, heure de la côte est, nous sommes aveugles. Les dernières photos satellite ont été prises à dix-huit heures trente minutes au-dessus de Jelgava.:»

Allumant un micro qui sortait de la console devant lui, il annonça:: «:Photos SKY EYES 7-16, merci.:» Il y eut une pause de quelques secondes, le temps pour l’ordinateur d’afficher les documents demandés. Sur l’immense écran, la carte du monde devint noire et fut remplacée par une photo de haute altitude où l’on apercevait une étendue d’épaisse forêt. Au centre de l’image, une grappe de points lumineux reliés entre eux par des routes minuscules.

«:Fois douze:», ordonna Hannan, dont les lunettes aux montures d’écaille reflétaient l’image projetée sur l’écran.
Quand la photo fut agrandie, les centaines de silos à missiles intercontinentaux apparurent aussi clairement que si l’écran mural avait été une baie vitrée. Sur les routes, on voyait des camions dont les roues soulevaient de la poussière, et même des soldats positionnés près des bunkers de béton et des antennes radar circulaires de la base.

«:Comme vous pouvez le voir, poursuivit Hannan, la voix posée, quelque peu détachée, qui caractérisait sa précédente profession (il enseignait l’histoire militaire et l’économie à Yale), ils se préparent à quelque chose. À mon avis, ils sont en train de renforcer le matériel radar et d’armer toutes ces têtes nucléaires. On compte deux cent soixante-trois silos à missile rien que sur cette base, ce qui doit faire plus de six cents têtes. C’est deux minutes après cette photo que le SKY EYE a été aveuglé. Mais cette image ne fait que confirmer ce que nous savions déjà:: les Russes sont passés à un niveau d’alerte supérieur, et ils ne veulent surtout pas que l’on voie ce qu’ils ache­minent. Ce qui nous conduit au rapport du général Chivington. Général:?:»

Chivington, immédiatement imité par les autres parti­cipants, rompit le cachet de cire qui scellait un dossier vert posé devant lui. À l’intérieur se trouvaient des pages et des pages de documents, de graphiques et de diagrammes.

«:Messieurs, commença-t-il d’une voix rauque, dans les neuf derniers mois la machine de guerre russe s’est mobilisée pour tourner désormais à plus de 85 % de sa capacité maximale théorique. Inutile de vous rappeler l’Afghanistan, l’Amérique du Sud ou le Golfe Persique, mais j’aimerais attirer votre at­tention sur le document codé double 6 double 3. Il s’agit d’un diagramme qui montre le pourcentage de ravitaillement consacré à leur système de défense civile, et vous pouvez voir par vous-mêmes qu’il est monté en flèche depuis deux mois. D’après nos sources de renseignements, c’est désormais plus de quarante pour cent des populations urbaines qui ont quitté les villes ou ont investi des abris antiatomiques…:»

Alors que Chivington continuait à parler, le Président, lui, se remémorait ces épouvantables derniers jours de la guerre d’Afghanistan, huit mois auparavant, des attaques au gaz et des frappes nucléaires tactiques.

Et une semaine après la chute de l’Afghanistan, cette mini-bombe nucléaire de douze kilotonnes et demie qui avait explosé dans un immeuble de Beyrouth, réduisant cette ville déjà martyre à un paysage lunaire de ruines radioactives.

La moitié de sa population avait été anéantie sur le coup. Des groupes terroristes divers et variés s’étaient bousculés pour revendiquer l’attentat, ­promettant que la foudre d’Allah allait très bientôt s’abattre à nouveau.

Avec cette bombe, c’est la boîte de Pandore de la terreur qui s’était ouverte.

Le 14 mars, l’Inde attaquait le Pakistan à l’arme chimique. Le Pakistan répliquait par une frappe de missiles sur la ville de Jaipur. Il avait suffi de trois projectiles nucléaires indiens pour rayer Karachi de la carte, et la guerre s’était ensuite enlisée dans les étendues désolées du désert du Thar.

Le 2 avril, c’est l’Iran qui faisait pleuvoir des missiles nucléai­res soviétiques sur l’Irak, et les forces américaines s’étaient vu aspirées dans ce maelstrom en tentant de contenir les forces terrestres iraniennes. Chasseurs soviétiques et américains s’étaient livré bataille au-dessus du Golfe Persique, et à présent, la région tout entière menaçait de s’embraser.

Des guerres frontalières avaient éclaté par vagues successives dans toute l’Afrique du Nord et l’Afrique australe. Les plus petits pays vidaient leurs réserves de devises pour acheter des engins chimiques et atomiques à des marchands d’armes. Les alliances changeaient d’un jour à l’autre, parfois en raison des pressions militaires, parfois des balles de snipers.

Le 4 mai, à moins de vingt kilomètres de Key West, un pilote de F-18 américain à la gâchette un peu facile balançait un missile air-mer dans le flanc d’un sous-marin russe déjà neutralisé. Ce qui avait immédiatement attiré des MIG russes basés à Cuba qui, surgissant à l’horizon dans un grondement de tonnerre, avaient abattu le pilote en question, ainsi que deux autres avions d’une escadrille qui arrivait en renfort.

Neuf jours plus tard, ce sont deux sous-marins, un russe et un américain, qui entraient en collision en jouant au chat et la souris dans l’Arctique. Et deux jours après, les radars du système d’Alerte Distant canadien repéraient une nuée de petits points lumineux:: vingt appareils en approche.Toutes les bases aériennes de l’Ouest des États-Unis étaient passées en alerte rouge, mais les intrus avaient fait demi-tour pour prendre la fuite avant d’être interceptés.

Le 16 mai, toutes les bases aériennes américaines passaient en Defcon 4. Moins de deux heures après, les Russes faisaient de même. Pour ne rien arranger à la tension, le même jour un engin nucléaire explosait dans le complexe Fiat à Milan, en Italie:; attentat revendiqué par un groupe terroriste à ­ascendance communiste nommé L’Étoile Rouge de la Liberté.

Les incidents entre navires de guerre, sous-marins et avions s’étaient poursuivis en mai et en juin en Atlantique Nord et dans le Pacifique Nord. Les bases aériennes américaines étaient déjà passées en Defcon 3 lorsqu’un croiseur avait coulé suite à une explosion d’origine inconnue, à trente milles nautiques au large de l’Oregon.

Il n’était plus rare d’observer des sous-marins étrangers dans les eaux territoriales, et des sous-marins américains étaient envoyés à leur tour pour tester les capacités de défense ennemies. Les activités de leurs bases de missiles intercontinentaux étaient enregistrées par les satellites SKY EYE avant qu’ils ne soient mis hors d’usage. Le Président savait qu’ils avaient vu les activités des bases U.S. avant que leurs propres satellites ne soient aveuglés à leur tour.

Au 13 juin de cet «:Été de la Terreur:», comme l’avaient surnommé les magazines, le Tropic Panorama, un navire de croisière qui transportait sept cents passagers entre Hawaï et San Francisco, envoyait un message radio:: il était suivi par un sous-marin non identifié.

Ce message avait été le dernier du Tropic Panorama.

Depuis ce jour-là, les navires de guerre américains qui patrouillaient dans le Pacifique tenaient leurs missiles nucléaires armés et prêts au lancement.

Le Président se remémora Écrit dans le ciel, un film sur l’odyssée d’un avion en détresse, prêt à s’écraser. Le pilote, en l’occurrence John Wayne, parlait à l’équipage du point de non-retour, ce point au-delà duquel l’appareil ne peut plus faire machine arrière, mais doit continuer sa route quoi qu’il advienne.

Depuis quelque temps, en son for intérieur, le Président avait franchi à bien des reprises ce point de non-retour. Il avait rêvé qu’il était aux commandes d’un avion en perdition, volant au-dessus d’un océan sombre et plein de menaces, à la recherche de points lumineux indiquant la terre. Mais les instruments étaient hors d’usage et l’avion tombait et tombait encore, les cris des passagers résonnant dans sa tête.

Je veux redevenir un enfant, se dit-il, alors que les regards convergeaient tous vers lui. Mon Dieu, je ne veux plus être aux commandes:!

Le général Chivington avait terminé son rapport.

«:Merci:», dit le Président, bien qu’il ne fût pas vraiment certain d’avoir saisi ce qui avait été dit. Il sentait les yeux de ces hommes braqués sur lui. Des hommes qui attendaient qu’il parle, qu’il bouge, qu’il fasse quelque chose.

Il était plutôt beau, solide et les cheveux toujours noirs à bientôt cinquante ans:; il avait été pilote de chasse, astronaute dans la navette spatiale Olympian, l’un des premiers à évoluer dans l’espace équipé d’un réacteur dorsal. En contemplant l’immense courbe de la Terre, traver­sée de bancs de nuages, il avait été ému aux larmes, et son commentaire transmis par radio – «:Je crois que je sais ce que Dieu doit ressentir, Houston:» – avait été déterminant pour son élection à la présidence.

Et pourtant, il avait hérité des erreurs de ses prédécesseurs, cette ridicule naïveté devant le monde à l’aube du XXIe siècle.
L’économie, après un rebond, s’était effondrée en une spirale incontrôlable.

Le taux de criminalité avait explosé, les prisons ressemblaient à des abattoirs pleins à craquer. Partout en Amérique, c’étaient des centaines de milliers de sans-abri (la «:Nation de haillons:» comme les avait surnommés le New York Times) qui erraient dans les rues, trop démunis pour trouver un refuge, incapables de résister à la pression mentale d’un monde qui courait vers l’abîme.

Le programme militaire «:Guerre des étoiles:», qui avait coûté des milliards de dollars, s’était révélé catastrophique, car on avait compris, mais trop tard, que les machines pouvaient travailler aussi bien que les humains, et la complexité des plateformes orbitales, qui défiait l’entendement, avait fait exploser le budget.

Les marchands d’armes avaient fourgué une technologie nucléaire aussi ­rudimentaire qu’instable à des nations du tiers-monde et à des dictateurs déséquilibrés, assoiffés de pouvoir, sur une scène internationale où les destins se faisaient et se défaisaient en quelques jours, voire quelques heures.

Les bombes de douze kilotonnes – à peu près la puissance de celle de Hiroshima – étaient désormais aussi répandues que les grenades à main et tenaient dans un attaché-case. Les émeutes qui éclataient à nouveau en Pologne, après les combats de rue à Varsovie l’hiver précédent, avaient fait descendre bien en dessous de zéro la température des relations russo-américaines, qui ne devaient guère se réchauffer suite au lamentable échec du plan de la CIA, désormais en disgrâce nationale, consistant à assassiner les leaders de la révolution polonaise

Nous sommes dangereusement proches du point de non-retour, se dit le Président, pris subitement d’une envie de rire, mais qui parvint, au prix d’un gros effort, à ne pas desserrer les lèvres.
De multiples rapports et opinions se bousculaient dans sa tête et allaient tous dans le sens de cette terrible conclusion:: les Russes préparaient une première frappe qui allait irrémédiablement détruire les États-Unis.

«:Monsieur le Président:? intervint à nouveau Hannan, brisant un silence embarrassé. C’est au tour de l’amiral Narra­more de nous délivrer son rapport. Amiral:?:»

Un nouveau sceau fut décacheté. L’amiral Narramore, grand sexagénaire décharné, se mit à détailler les informations ­classées top secret::

«:À dix-neuf heures et douze minutes, des hélicoptères de reconnaissance britanniques, qui patrouillaient autour du destroyer de missiles guidés Fife, ont largué des balises sonores qui ont confirmé la présence de six sous-marins non identifiés à une centaine de kilomètres de la côte des Bermudes, cap trois cents degrés. Si ces bâtiments s’approchaient de la côte nord-est, cela signifierait que leurs missiles sont en capacité d’atteindre New York, Newport News, nos bases aériennes sur toute la côte, la Maison Blanche et le Pentagone.:»

Il plongea son regard gris brumeux surmonté d’épais ­sourcils blancs dans les yeux du Président, assis en face de lui. La Maison Blanche était à moins d’une vingtaine de mètres au-dessus de leurs têtes.
«:Si on en a repéré six, poursuivit-il, vous pouvez être sûrs que les Russkofs doivent en avoir trois fois plus dans le coin. Ils peuvent nous écraser sous plusieurs centaines de têtes nucléaires, et ça ne prendrait que cinq à neuf minutes.:»

Il tourna la page.

«:Il y a une heure, les douze sous-marins soviétiques Delta II repérés à quatre cent dix-huit kilomètres au nord-ouest de San Francisco étaient toujours dans la même position.:»

Le Président se sentit cotonneux, comme si tout ça n’était qu’un rêve éveillé. Réfléchis:! s’ordonna-t-il. Réfléchis, incapable:!

«:Et les nôtres, Amiral, où sont-ils:?:», s’entendit-il demander sans reconnaître sa propre voix.

Narramore fit apparaître une autre carte sur l’écran mural. On y voyait toute une ligne de petits points lumineux qui clignotaient à un peu plus de trois cents kilomètres de Mour­mansk en Sibérie. Puis une nouvelle carte, cette fois de la Mer Baltique, avec une autre armada de sous-marins déployés au nord-ouest de Riga. Une troisième montrait la côte est de la Russie, avec une ligne de sous-marins en position dans la mer de Bering, entre l’Alaska et les territoires russes.

«:On les a coincés dans un cercle de fer, expliqua Narramore. Un mot de vous, et on coule tout ce qui essaie de passer.

— Je crois que la situation est claire, reprit Hannan d’une voix tranquille et ferme. Il faut qu’on les fasse reculer.:»
Le Président resta un moment silencieux, tentant de mettre une pensée logique devant l’autre. Il avait les mains moites.

«:Et si… s’ils n’étaient pas en train de préparer une première frappe:? Si eux croyaient que c’est nous qui allions frapper:? Si on fait usage de la force, est-ce ce que ça ne va pas les pousser à l’irréparable:?:»
Hannan sortit une cigarette d’un étui d’argent et l’alluma. Le regard du Président fut à nouveau attiré par la flamme.

«:Monsieur le Président, répondit-il d’une voix douce, comme s’il s’adressait à un enfant, s’il y a une seule et unique chose que les Russes respectent, c’est la force brute. Vous le savez aussi bien que tous ceux présents ici, notamment depuis l’incident dans le Golfe Persique. Ils veulent conquérir des territoires, et pour ça, ils sont prêts à nous détruire, quelles que soient les pertes de leur côté. Nom de Dieu, leur économie est encore plus mal que la nôtre:! Ils vont nous pousser et nous pousser encore, jusqu’à ce qu’on cède ou qu’on frappe, et si on attend trop avant de frapper, alors puisse Dieu nous venir en aide.

— Non:!:», se récria le Président en secouant la tête. La question avait été posée maintes et maintes fois, et l’idée même le rendait malade. «:Non. Nous ne frapperons pas les premiers.

— Les Russes, poursuivit patiemment Hannan, ne compren­nent que la diplomatie du bâton. Je ne dis pas qu’il faut les détruire. Mais je suis un fervent partisan de l’idée que le temps est venu de leur faire savoir, et sans équivoque, que nous ne nous laisserons pas faire, que nous n’admettrons pas que leurs sous-marins nucléaires traînent près de nos côtes à attendre les codes de lancement:!:»

Le Président regarda fixement ses mains. Le nœud de sa cravate le serrait comme la corde d’un pendu. Il sentait la sueur perler sous ses bras et dans le creux de ses reins.

«:Ce qui veut dire:? interrogea-t-il.

— Ce qui veut dire qu’il faut qu’on intercepte immédia­tement ces satanés sous-marins. On les détruit s’ils ne veulent pas faire demi-tour. On bascule en Defcon 2 sur toutes les bases aériennes et bases de missiles ICBM.:»

Hannan jeta un coup d’œil à la ronde pour voir qui se rangeait à son avis. Seul le Vice-Président détourna le regard, mais Hannan savait qu’il était faible et que son opinion n’avait aucun poids.
«:On intercepte tout bâtiment nucléaire qui quitte Riga, Mourmansk ou Vladivostok. On reprend le contrôle maritime, et si ça signifie un engagement nucléaire tactique, tant pis.

— Un blocus, résuma le Président. Est-ce que ça ne va pas les rendre encore plus décidés à combattre:?

— Monsieur le Président, intervint le général Sinclair de son accent traînant de Virginie, à mon avis, le raisonnement doit être le suivant:: les Rouges doivent croire qu’on est prêts à risquer nos vies pour les envoyer ad patres. Et en toute honnêteté, je ne crois pas qu’il y ait un seul homme dans cette pièce qui va les laisser tranquillement nous balancer une chiée de missiles mer-sol sans leur taper sur la gueule avant. Peu importe le bilan.:»

Il se pencha en avant, transperçant le Président du regard.

«:Je peux faire passer le SAC et le NORAD en Defcon 2 en deux minutes si vous le demandez. Je peux envoyer un escadron de B-1 à leurs frontières en une heure. Juste histoire de les secouer gentiment, vous voyez:?

— Mais… ils vont penser que c’est nous qui attaquons:!

— Ce qui est important, c’est qu’ils comprennent qu’on ­n’hési­tera pas:», répliqua Hannan en tapotant sa cigarette au-dessus du cendrier. Si c’est dingue, c’est dingue. Mais merde, ils respectent plus la folie que la peur:! Si on les laisse expédier des missiles nucléaires sur nos côtes sans lever le petit doigt, alors on signe l’arrêt de mort des États-Unis:!:»

Le Président ferma les yeux. Et se força à les rouvrir. Il avait vu des villes en flammes et des êtres humains calcinés, réduits à des tas de cendres. Il eut beaucoup de peine à articuler:: «:Je… je ne veux pas être l’homme qui aura déclenché la Troisième Guerre mondiale. Vous le comprenez, ça:?

— Elle a déjà commencé, répliqua Sinclair, élevant la voix. La terre entière est en guerre, et on attend que l’un de nous donne le coup de grâce. Peut-être que l’avenir du monde dépend uniquement de celui qui aura eu le courage de se mon­trer le plus excessif:! Je suis d’accord avec Hans:: si on n’agit pas maintenant, c’est le ciel qui va nous tomber sur la tête:!

— Ils reculeront, affirma Narramore d’un ton catégorique. C’est arrivé auparavant. Si on envoie des sous-marins d’attaque s’occuper de leurs sous-marins, alors ils sauront où est la ligne rouge. Alors:? On attend tranquillement ou on leur montre de quoi on est capables:?

— Monsieur le Président:? insista Hannan en jetant encore un coup d’œil à l’horloge, qui indiquait à présent 22 h 58. Je crois que la décision vous appartient, désormais.:»

Je ne veux pas:! faillit-il hurler. Il avait besoin de temps, pour aller à Camp David, ou bien partir pour une de ces longues expéditions de pêche qu’il aimait tant à l’époque où il était sénateur.

Malheureusement, le temps était compté. Ses mains étaient crispées devant lui. Son visage était si raide qu’il eut peur de le sentir se fissurer et tomber en morceaux tel un masque:; or il n’avait aucune envie de voir ce qu’il y avait dessous. Quand il releva les yeux, ces sommités étaient toujours là, aux aguets, et il sentit que ses sens lui échappaient comme dans un tourbillon.

La décision. Il fallait la prendre, là, immédiatement.

«:Oui.:» Jamais auparavant le mot n’avait résonné de manière aussi effroyable. «:Très bien. On passe…:» Il s’interrompit pour prendre une profonde inspiration. «:On passe en Defcon 2. Amiral, mettez vos forces en alerte. Général Sinclair, je ne veux pas que ces B-1 pénètrent ne serait-ce d’un seul centimètre leur espace aérien. Est-ce bien clair:?

— Mes pilotes peuvent raser leur frontière les yeux fermés.

— Entrez vos codes.:»

Sinclair s’activa sur le clavier de la console, avant de prendre son téléphone pour donner le feu vert au Strategic Air Command à Omaha et au NORAD, dans sa forteresse de Cheyenne Mountain, dans le Colorado. L’Amiral Narramore décrocha le combiné qui le reliait directement au PC des opérations navales au Pentagone.

D’ici quelques minutes, ce serait le branle-bas de combat sur toutes les bases aériennes et navales. Les codes déclenchant le Defcon 2 résonneraient bientôt dans les câbles, et on allait vérifier une nouvelle fois les équipements radar, les capteurs, les moniteurs, les ordinateurs et les centaines d’autres matériels militaires de haute technologie, en même temps que les dizaines de missiles de croisière et les milliers de têtes nucléaires cachés dans leurs silos ­dis­sé­minés dans tout le Midwest, depuis le Montana jusqu’au Kansas.

Le Président était pétrifié. La décision était prise. Le chef de cabinet Bergholz mit fin à la réunion, puis s’avança vers lui pour saisir son épaule en l’assurant que c’était vraiment une bonne, une très bonne décision. Conseillers militaires et hauts fonctionnaires quittèrent la salle de crise pour se diriger vers l’ascenseur du vestibule, mais le Président resta assis, seul. Sa pipe était froide et il n’avait même pas envie de la rallumer.

«:Monsieur le Président:?:»

Il sursauta, tournant la tête en direction de la voix. C’était Hannan, debout près de la porte.

«:Ça va:?

— Paré, dit le Président avec un petit sourire, se souvenant de ses heures de gloire, du temps où il était astronaute. Non, en fait. Mon Dieu, j’en sais rien. Oui, je pense que oui.

— Vous avez pris la bonne décision. Nous le savons tous les deux. Il faut qu’ils comprennent que nous n’avons pas peur.

— Mais moi, j’ai peur, Hans. Je crève de peur.

— Moi aussi. Et les autres aussi. Mais il ne faut pas qu’on se laisse gouverner par cette peur.:» Il revint vers la table et se mit à feuilleter certains des dossiers. Dans quelques minutes, un jeune agent de la CIA allait entrer, chargé de passer l’intégralité des documents à la broyeuse. «:Je pense que vous feriez sans doute bien d’envoyer Julianne et Cory au Sous-sol ce soir, dès qu’ils auront fait leurs bagages. De notre côté, nous allons voir ce qu’on raconte à la presse.:»

Le Président hocha la tête. Le «:Sous-sol:» était un abri antiatomique, dans le Delaware où la Première dame, leur fils de dix-sept ans, ainsi que des membres du cabinet et de l’état-major seraient, du moins l’espérait-on, protégés de tout, sauf d’une éventuelle frappe directe par une tête d’une mégatonne.

Depuis que l’existence de cette construction haut de gamme avait fuité, plusieurs années auparavant, de tels abris souterrains avaient poussé comme des champignons à travers le pays, certains aménagés dans d’anciennes mines, d’autres dans des montagnes. Le business survivaliste était plus que jamais florissant.

«:Il y a un autre sujet à aborder, reprit Hannan tandis que le Président apercevait son propre reflet, celui d’un homme las, aux orbites creusées, dans les lunettes de son secrétaire à la Défense. Les Dents.

— Ce n’est pas encore le moment, gémit-il, l’estomac noué. Pas encore.

— Si. Il est temps. Je pense que vous seriez plus en sécurité au Centre de commandement aérien. La Maison Blanche fera partie des premières cibles. Moi, j’envoie Paula au Sous-sol, et comme vous le savez, vous avez le pouvoir d’y emmener n’importe qui d’autre. Mais, si vous m’y autorisez, j’aimerais être avec vous au Centre de commandement.

— Oui, bien sûr. Il faut que vous restiez avec moi.

— À bord, poursuivit Hannan, il y aura un officier de l’Air Force, qui aura une mallette attachée au poignet par des menottes. Vous connaissez vos codes:?

— Je les connais.:»

Ces codes, cela faisait partie des premières choses qu’il avait mémorisées en prenant ses fonctions. Il sentit comme une main de fer lui paralyser la nuque. «:Mais… je ne vais pas devoir m’en servir, n’est-ce pas, Hans:? demanda-t-il d’un ton presque suppliant.

— Sans doute pas. Mais si c’était le cas, si jamais c’était le cas, il faudra vous rappeler qu’à ce stade, l’Amérique que nous aimons sera morte, et qu’aucun envahisseur n’a jamais, et n’aura jamais mis un seul pied sur notre sol.:» Puis, saisissant l’épaule du Président dans un geste paternel:: «:Vous avez compris:?

— Le point de non-retour… murmura le Président, le regard vitreux et distant.

— Quoi:?

— Nous sommes sur le point de franchir le point de non-retour. Peut-être même l’avons-nous déjà franchi, et qu’il est trop tard pour faire machine arrière. Dieu nous protège, nous volons dans les ténèbres sans savoir où nous allons.

— On le saura quand on y sera. Ça a toujours été le cas jusqu’ici.

— Hans:? interrogea le Président, d’une voix aussi faible que celle d’un enfant. Si… si vous étiez Dieu, vous détruiriez ce monde:?:»
Hannan resta silencieux pendant un moment.

«:Je suppose… que j’attendrais de voir. Enfin, si j’étais Dieu.

— De voir quoi:?

— Qui aura gagné. Les bons ou les méchants.

— Y a-t-il encore une différence:?:»

Hannan marqua une pause. Il fit mine de répondre, et puis comprit qu’il en était bien incapable. «:Je vais appeler l’ascenseur:», lança-t-il avant de sortir de la Salle de crise.

Le Président desserra ses mains crispées. Les éclairages du plafond faisaient scintiller les boutons de manchette marqués du sceau présidentiel qu’il portait toujours.

Je suis paré, se dit-il. Tous systèmes parés.
Et d’un seul coup, quelque chose se brisa en lui et il faillit se mettre à pleurer. Il voulait rentrer chez lui. Mais chez lui, c’était bien loin de ce fauteuil.

«:Monsieur le Président:?:»

C’était Hannan.

Lentement, raide comme un vieillard, le Président se leva et quitta la pièce pour faire face au futur.

 

Robert McCammon

Extrait de
SWAN SONG

IL FUT UN TEMPS

 

Washington, D.C.
16 Juillet, 22 h 27

Il fut un temps où l’homme vivait une histoire d’amour avec le feu, songeait le président des États-Unis en contemplant au bout de ses doigts l’allumette qu’il venait de craquer pour sa pipe.

Il plongea son regard dans la flamme, comme hypnotisé par sa couleur, et alors qu’elle grandissait sous ses yeux, il eut une vision:: une tornade de feu de centaines de mètres de haut en train de ravager ce pays qu’il aimait tant, réduisant en fumée villes et villages, transformant les fleuves en vapeur, tournoyant au milieu des fermes en ruines au cœur des terres et vomissant vers un ciel noir les cendres de centaines de millions d’êtres humains.

Il fixa avec une fascination morbide la flamme qui montait de l’allumette, se disant soudain qu’il avait là, sous les yeux, en miniature, une puissance aussi créatrice que destructrice:: elle pouvait aussi bien servir à cuire des aliments, illuminer les ténèbres ou fondre le métal qu’à brûler les chairs. Soudain, au centre de la flamme apparut quelque chose qui ressemblait à un œil minuscule, écarlate et sans paupière, et il faillit crier.

Cette nuit-là, il s’était réveillé en sursaut vers deux heures du matin, secoué par un cauchemar d’holocauste, et s’était alors mis à pleurer sans pouvoir s’arrêter. La Première dame avait eu beau essayer de le calmer, il avait continué à sangloter, parcouru de spasmes, tel un enfant. Il était allé s’installer dans le bureau Ovale jusqu’au petit matin, parcourant encore et encore des cartes et des rapports top secret. Mais ces documents disaient tous la même chose:: Première frappe.

La flamme lui brûla les doigts. Il secoua l’allumette, qu’il laissa tomber dans le cendrier gravé du sceau présidentiel. Une minuscule volute de fumée commença à monter, aspirée par la bouche d’aération.

«:Monsieur le Président:?:», prononça une voix.

Levant les yeux, il aperçut un groupe d’inconnus assis avec lui dans la salle de crise, puis une carte du monde ultra-détaillée sur un écran géant fixé au mur, ainsi qu’une batterie de téléphones et d’écrans disposés en demi-cercle autour de lui, tel le cockpit d’un avion de chasse. Dieu du Ciel, se dit-il alors, si seulement c’était un autre assis dans ce fauteuil, et que j’étais encore sénateur et que je ne connaissais pas la vérité…

«:Monsieur le Président:?:»

Il se passa la main sur le front. Il était parcouru d’une sueur glacée. Bien le moment d’attraper une grippe, se dit-il, et il faillit éclater de rire devant l’absurdité de la chose. Un président, ça n’a pas d’arrêt maladie, parce qu’un président n’est pas censé tomber malade. Il tenta de se concentrer pour savoir qui, autour de la table, s’adressait ainsi à lui.

Tous le dévisageaient:: le Vice-Président, nerveux et sournois:; l’amiral Narramore, droit comme un I, engoncé dans son uniforme à la poitrine couverte de décorations:; le général Sinclair, vif et alerte, les yeux comme deux billes de verre bleu dans un visage buriné:; le secrétaire à la Défense Hannan, aussi affable que le grand-père idéal, mais surnommé «:Hans d’Acier:» par les journalistes comme par son cabinet:; le général Chivington, l’expert le plus reconnu en puissance militaire soviétique:; le chef de cabinet Bergholz, coupe en brosse et vêtu comme toujours d’un élégant costume bleu marine à fines rayures:; et tout un aréopage ­d’officiers et conseillers militaires.

«:Oui:?:», répondit le Président à Bergholz.

Hannan allongea le bras pour prendre un verre d’eau dont il but une petite gorgée avant de reprendre:: «:Monsieur le Président:? Je vous demandais si vous souhaitiez que je poursuive.:»

Et il tapota la page du rapport qu’il était en train de lire à voix haute.
Ah… Ma pipe est éteinte, se dit-il. Ne l’ai-je pas allumée, à l’instant:?

Il regarda l’allumette consumée dans le cendrier, se demandant comment elle était arrivée là. Pendant une seconde, il eut une autre vision:: le visage de John Wayne, tiré de l’un de ces vieux films en noir et blanc qu’il avait vus gamin:; il disait quelque chose sur le point de non-retour.

«:Oui, enchaîna le Président. Poursuivez.:»

Hannan jeta un coup d’œil aux autres participants. Tous avaient reçu un exemplaire du rapport avant que la réunion ne commence, en même temps qu’une montagne de topos estampillés secret-défense, fraîchement sortis des télex du NORAD et du SAC.

«:Il y a moins de trois heures, continua Hannan, notre dernier satellite espion SKY EYE a été aveuglé alors qu’il se mettait en position au-dessus de Khatyrka, en Russie. Nous avons perdu l’intégralité des capteurs optiques et des caméras et, comme dans le cas des six autres, nous pensons que celui-ci a été détruit par un laser terrestre, probablement installé à proximité de Magadan.

Vingt minutes après la neutrali­sation de SKY EYES 7, nous avons utilisé notre propre laser Malmstrom AFB pour aveugler un satellite espion soviétique qui survolait le Canada. D’après nos calculs, ça leur laisse deux satellites disponibles:; l’un au-dessus du Pacifique Nord, l’autre au-dessus de la frontière Iran-Irak.

La NASA tente actuellement de réparer SKY EYES 2 et 3, mais les autres sont bons pour la casse cosmique. Ce que ça signifie, Monsieur le Président, résuma Hannan en regardant l’horloge digitale sur le mur de béton, c’est que, depuis environ trois heures, heure de la côte est, nous sommes aveugles. Les dernières photos satellite ont été prises à dix-huit heures trente minutes au-dessus de Jelgava.:»

Allumant un micro qui sortait de la console devant lui, il annonça:: «:Photos SKY EYES 7-16, merci.:» Il y eut une pause de quelques secondes, le temps pour l’ordinateur d’afficher les documents demandés. Sur l’immense écran, la carte du monde devint noire et fut remplacée par une photo de haute altitude où l’on apercevait une étendue d’épaisse forêt. Au centre de l’image, une grappe de points lumineux reliés entre eux par des routes minuscules.

«:Fois douze:», ordonna Hannan, dont les lunettes aux montures d’écaille reflétaient l’image projetée sur l’écran.
Quand la photo fut agrandie, les centaines de silos à missiles intercontinentaux apparurent aussi clairement que si l’écran mural avait été une baie vitrée. Sur les routes, on voyait des camions dont les roues soulevaient de la poussière, et même des soldats positionnés près des bunkers de béton et des antennes radar circulaires de la base.

«:Comme vous pouvez le voir, poursuivit Hannan, la voix posée, quelque peu détachée, qui caractérisait sa précédente profession (il enseignait l’histoire militaire et l’économie à Yale), ils se préparent à quelque chose. À mon avis, ils sont en train de renforcer le matériel radar et d’armer toutes ces têtes nucléaires. On compte deux cent soixante-trois silos à missile rien que sur cette base, ce qui doit faire plus de six cents têtes. C’est deux minutes après cette photo que le SKY EYE a été aveuglé. Mais cette image ne fait que confirmer ce que nous savions déjà:: les Russes sont passés à un niveau d’alerte supérieur, et ils ne veulent surtout pas que l’on voie ce qu’ils ache­minent. Ce qui nous conduit au rapport du général Chivington. Général:?:»

Chivington, immédiatement imité par les autres parti­cipants, rompit le cachet de cire qui scellait un dossier vert posé devant lui. À l’intérieur se trouvaient des pages et des pages de documents, de graphiques et de diagrammes.

«:Messieurs, commença-t-il d’une voix rauque, dans les neuf derniers mois la machine de guerre russe s’est mobilisée pour tourner désormais à plus de 85 % de sa capacité maximale théorique. Inutile de vous rappeler l’Afghanistan, l’Amérique du Sud ou le Golfe Persique, mais j’aimerais attirer votre at­tention sur le document codé double 6 double 3. Il s’agit d’un diagramme qui montre le pourcentage de ravitaillement consacré à leur système de défense civile, et vous pouvez voir par vous-mêmes qu’il est monté en flèche depuis deux mois. D’après nos sources de renseignements, c’est désormais plus de quarante pour cent des populations urbaines qui ont quitté les villes ou ont investi des abris antiatomiques…:»

Alors que Chivington continuait à parler, le Président, lui, se remémorait ces épouvantables derniers jours de la guerre d’Afghanistan, huit mois auparavant, des attaques au gaz et des frappes nucléaires tactiques.

Et une semaine après la chute de l’Afghanistan, cette mini-bombe nucléaire de douze kilotonnes et demie qui avait explosé dans un immeuble de Beyrouth, réduisant cette ville déjà martyre à un paysage lunaire de ruines radioactives.

La moitié de sa population avait été anéantie sur le coup. Des groupes terroristes divers et variés s’étaient bousculés pour revendiquer l’attentat, ­promettant que la foudre d’Allah allait très bientôt s’abattre à nouveau.

Avec cette bombe, c’est la boîte de Pandore de la terreur qui s’était ouverte.

Le 14 mars, l’Inde attaquait le Pakistan à l’arme chimique. Le Pakistan répliquait par une frappe de missiles sur la ville de Jaipur. Il avait suffi de trois projectiles nucléaires indiens pour rayer Karachi de la carte, et la guerre s’était ensuite enlisée dans les étendues désolées du désert du Thar.

Le 2 avril, c’est l’Iran qui faisait pleuvoir des missiles nucléai­res soviétiques sur l’Irak, et les forces américaines s’étaient vu aspirées dans ce maelstrom en tentant de contenir les forces terrestres iraniennes. Chasseurs soviétiques et américains s’étaient livré bataille au-dessus du Golfe Persique, et à présent, la région tout entière menaçait de s’embraser.

Des guerres frontalières avaient éclaté par vagues successives dans toute l’Afrique du Nord et l’Afrique australe. Les plus petits pays vidaient leurs réserves de devises pour acheter des engins chimiques et atomiques à des marchands d’armes. Les alliances changeaient d’un jour à l’autre, parfois en raison des pressions militaires, parfois des balles de snipers.

Le 4 mai, à moins de vingt kilomètres de Key West, un pilote de F-18 américain à la gâchette un peu facile balançait un missile air-mer dans le flanc d’un sous-marin russe déjà neutralisé. Ce qui avait immédiatement attiré des MIG russes basés à Cuba qui, surgissant à l’horizon dans un grondement de tonnerre, avaient abattu le pilote en question, ainsi que deux autres avions d’une escadrille qui arrivait en renfort.

Neuf jours plus tard, ce sont deux sous-marins, un russe et un américain, qui entraient en collision en jouant au chat et la souris dans l’Arctique. Et deux jours après, les radars du système d’Alerte Distant canadien repéraient une nuée de petits points lumineux:: vingt appareils en approche.Toutes les bases aériennes de l’Ouest des États-Unis étaient passées en alerte rouge, mais les intrus avaient fait demi-tour pour prendre la fuite avant d’être interceptés.

Le 16 mai, toutes les bases aériennes américaines passaient en Defcon 4. Moins de deux heures après, les Russes faisaient de même. Pour ne rien arranger à la tension, le même jour un engin nucléaire explosait dans le complexe Fiat à Milan, en Italie:; attentat revendiqué par un groupe terroriste à ­ascendance communiste nommé L’Étoile Rouge de la Liberté.

Les incidents entre navires de guerre, sous-marins et avions s’étaient poursuivis en mai et en juin en Atlantique Nord et dans le Pacifique Nord. Les bases aériennes américaines étaient déjà passées en Defcon 3 lorsqu’un croiseur avait coulé suite à une explosion d’origine inconnue, à trente milles nautiques au large de l’Oregon.

Il n’était plus rare d’observer des sous-marins étrangers dans les eaux territoriales, et des sous-marins américains étaient envoyés à leur tour pour tester les capacités de défense ennemies. Les activités de leurs bases de missiles intercontinentaux étaient enregistrées par les satellites SKY EYE avant qu’ils ne soient mis hors d’usage. Le Président savait qu’ils avaient vu les activités des bases U.S. avant que leurs propres satellites ne soient aveuglés à leur tour.

Au 13 juin de cet «:Été de la Terreur:», comme l’avaient surnommé les magazines, le Tropic Panorama, un navire de croisière qui transportait sept cents passagers entre Hawaï et San Francisco, envoyait un message radio:: il était suivi par un sous-marin non identifié.

Ce message avait été le dernier du Tropic Panorama.

Depuis ce jour-là, les navires de guerre américains qui patrouillaient dans le Pacifique tenaient leurs missiles nucléaires armés et prêts au lancement.

Le Président se remémora Écrit dans le ciel, un film sur l’odyssée d’un avion en détresse, prêt à s’écraser. Le pilote, en l’occurrence John Wayne, parlait à l’équipage du point de non-retour, ce point au-delà duquel l’appareil ne peut plus faire machine arrière, mais doit continuer sa route quoi qu’il advienne.

Depuis quelque temps, en son for intérieur, le Président avait franchi à bien des reprises ce point de non-retour. Il avait rêvé qu’il était aux commandes d’un avion en perdition, volant au-dessus d’un océan sombre et plein de menaces, à la recherche de points lumineux indiquant la terre. Mais les instruments étaient hors d’usage et l’avion tombait et tombait encore, les cris des passagers résonnant dans sa tête.

Je veux redevenir un enfant, se dit-il, alors que les regards convergeaient tous vers lui. Mon Dieu, je ne veux plus être aux commandes:!

Le général Chivington avait terminé son rapport.

«:Merci:», dit le Président, bien qu’il ne fût pas vraiment certain d’avoir saisi ce qui avait été dit. Il sentait les yeux de ces hommes braqués sur lui. Des hommes qui attendaient qu’il parle, qu’il bouge, qu’il fasse quelque chose.

Il était plutôt beau, solide et les cheveux toujours noirs à bientôt cinquante ans:; il avait été pilote de chasse, astronaute dans la navette spatiale Olympian, l’un des premiers à évoluer dans l’espace équipé d’un réacteur dorsal. En contemplant l’immense courbe de la Terre, traver­sée de bancs de nuages, il avait été ému aux larmes, et son commentaire transmis par radio – «:Je crois que je sais ce que Dieu doit ressentir, Houston:» – avait été déterminant pour son élection à la présidence.

Et pourtant, il avait hérité des erreurs de ses prédécesseurs, cette ridicule naïveté devant le monde à l’aube du XXIe siècle.
L’économie, après un rebond, s’était effondrée en une spirale incontrôlable.

Le taux de criminalité avait explosé, les prisons ressemblaient à des abattoirs pleins à craquer. Partout en Amérique, c’étaient des centaines de milliers de sans-abri (la «:Nation de haillons:» comme les avait surnommés le New York Times) qui erraient dans les rues, trop démunis pour trouver un refuge, incapables de résister à la pression mentale d’un monde qui courait vers l’abîme.

Le programme militaire «:Guerre des étoiles:», qui avait coûté des milliards de dollars, s’était révélé catastrophique, car on avait compris, mais trop tard, que les machines pouvaient travailler aussi bien que les humains, et la complexité des plateformes orbitales, qui défiait l’entendement, avait fait exploser le budget.

Les marchands d’armes avaient fourgué une technologie nucléaire aussi ­rudimentaire qu’instable à des nations du tiers-monde et à des dictateurs déséquilibrés, assoiffés de pouvoir, sur une scène internationale où les destins se faisaient et se défaisaient en quelques jours, voire quelques heures.

Les bombes de douze kilotonnes – à peu près la puissance de celle de Hiroshima – étaient désormais aussi répandues que les grenades à main et tenaient dans un attaché-case. Les émeutes qui éclataient à nouveau en Pologne, après les combats de rue à Varsovie l’hiver précédent, avaient fait descendre bien en dessous de zéro la température des relations russo-américaines, qui ne devaient guère se réchauffer suite au lamentable échec du plan de la CIA, désormais en disgrâce nationale, consistant à assassiner les leaders de la révolution polonaise

Nous sommes dangereusement proches du point de non-retour, se dit le Président, pris subitement d’une envie de rire, mais qui parvint, au prix d’un gros effort, à ne pas desserrer les lèvres.
De multiples rapports et opinions se bousculaient dans sa tête et allaient tous dans le sens de cette terrible conclusion:: les Russes préparaient une première frappe qui allait irrémédiablement détruire les États-Unis.

«:Monsieur le Président:? intervint à nouveau Hannan, brisant un silence embarrassé. C’est au tour de l’amiral Narra­more de nous délivrer son rapport. Amiral:?:»

Un nouveau sceau fut décacheté. L’amiral Narramore, grand sexagénaire décharné, se mit à détailler les informations ­classées top secret::

«:À dix-neuf heures et douze minutes, des hélicoptères de reconnaissance britanniques, qui patrouillaient autour du destroyer de missiles guidés Fife, ont largué des balises sonores qui ont confirmé la présence de six sous-marins non identifiés à une centaine de kilomètres de la côte des Bermudes, cap trois cents degrés. Si ces bâtiments s’approchaient de la côte nord-est, cela signifierait que leurs missiles sont en capacité d’atteindre New York, Newport News, nos bases aériennes sur toute la côte, la Maison Blanche et le Pentagone.:»

Il plongea son regard gris brumeux surmonté d’épais ­sourcils blancs dans les yeux du Président, assis en face de lui. La Maison Blanche était à moins d’une vingtaine de mètres au-dessus de leurs têtes.
«:Si on en a repéré six, poursuivit-il, vous pouvez être sûrs que les Russkofs doivent en avoir trois fois plus dans le coin. Ils peuvent nous écraser sous plusieurs centaines de têtes nucléaires, et ça ne prendrait que cinq à neuf minutes.:»

Il tourna la page.

«:Il y a une heure, les douze sous-marins soviétiques Delta II repérés à quatre cent dix-huit kilomètres au nord-ouest de San Francisco étaient toujours dans la même position.:»

Le Président se sentit cotonneux, comme si tout ça n’était qu’un rêve éveillé. Réfléchis:! s’ordonna-t-il. Réfléchis, incapable:!

«:Et les nôtres, Amiral, où sont-ils:?:», s’entendit-il demander sans reconnaître sa propre voix.

Narramore fit apparaître une autre carte sur l’écran mural. On y voyait toute une ligne de petits points lumineux qui clignotaient à un peu plus de trois cents kilomètres de Mour­mansk en Sibérie. Puis une nouvelle carte, cette fois de la Mer Baltique, avec une autre armada de sous-marins déployés au nord-ouest de Riga. Une troisième montrait la côte est de la Russie, avec une ligne de sous-marins en position dans la mer de Bering, entre l’Alaska et les territoires russes.

«:On les a coincés dans un cercle de fer, expliqua Narramore. Un mot de vous, et on coule tout ce qui essaie de passer.

— Je crois que la situation est claire, reprit Hannan d’une voix tranquille et ferme. Il faut qu’on les fasse reculer.:»
Le Président resta un moment silencieux, tentant de mettre une pensée logique devant l’autre. Il avait les mains moites.

«:Et si… s’ils n’étaient pas en train de préparer une première frappe:? Si eux croyaient que c’est nous qui allions frapper:? Si on fait usage de la force, est-ce ce que ça ne va pas les pousser à l’irréparable:?:»
Hannan sortit une cigarette d’un étui d’argent et l’alluma. Le regard du Président fut à nouveau attiré par la flamme.

«:Monsieur le Président, répondit-il d’une voix douce, comme s’il s’adressait à un enfant, s’il y a une seule et unique chose que les Russes respectent, c’est la force brute. Vous le savez aussi bien que tous ceux présents ici, notamment depuis l’incident dans le Golfe Persique. Ils veulent conquérir des territoires, et pour ça, ils sont prêts à nous détruire, quelles que soient les pertes de leur côté. Nom de Dieu, leur économie est encore plus mal que la nôtre:! Ils vont nous pousser et nous pousser encore, jusqu’à ce qu’on cède ou qu’on frappe, et si on attend trop avant de frapper, alors puisse Dieu nous venir en aide.

— Non:!:», se récria le Président en secouant la tête. La question avait été posée maintes et maintes fois, et l’idée même le rendait malade. «:Non. Nous ne frapperons pas les premiers.

— Les Russes, poursuivit patiemment Hannan, ne compren­nent que la diplomatie du bâton. Je ne dis pas qu’il faut les détruire. Mais je suis un fervent partisan de l’idée que le temps est venu de leur faire savoir, et sans équivoque, que nous ne nous laisserons pas faire, que nous n’admettrons pas que leurs sous-marins nucléaires traînent près de nos côtes à attendre les codes de lancement:!:»

Le Président regarda fixement ses mains. Le nœud de sa cravate le serrait comme la corde d’un pendu. Il sentait la sueur perler sous ses bras et dans le creux de ses reins.

«:Ce qui veut dire:? interrogea-t-il.

— Ce qui veut dire qu’il faut qu’on intercepte immédia­tement ces satanés sous-marins. On les détruit s’ils ne veulent pas faire demi-tour. On bascule en Defcon 2 sur toutes les bases aériennes et bases de missiles ICBM.:»

Hannan jeta un coup d’œil à la ronde pour voir qui se rangeait à son avis. Seul le Vice-Président détourna le regard, mais Hannan savait qu’il était faible et que son opinion n’avait aucun poids.
«:On intercepte tout bâtiment nucléaire qui quitte Riga, Mourmansk ou Vladivostok. On reprend le contrôle maritime, et si ça signifie un engagement nucléaire tactique, tant pis.

— Un blocus, résuma le Président. Est-ce que ça ne va pas les rendre encore plus décidés à combattre:?

— Monsieur le Président, intervint le général Sinclair de son accent traînant de Virginie, à mon avis, le raisonnement doit être le suivant:: les Rouges doivent croire qu’on est prêts à risquer nos vies pour les envoyer ad patres. Et en toute honnêteté, je ne crois pas qu’il y ait un seul homme dans cette pièce qui va les laisser tranquillement nous balancer une chiée de missiles mer-sol sans leur taper sur la gueule avant. Peu importe le bilan.:»

Il se pencha en avant, transperçant le Président du regard.

«:Je peux faire passer le SAC et le NORAD en Defcon 2 en deux minutes si vous le demandez. Je peux envoyer un escadron de B-1 à leurs frontières en une heure. Juste histoire de les secouer gentiment, vous voyez:?

— Mais… ils vont penser que c’est nous qui attaquons:!

— Ce qui est important, c’est qu’ils comprennent qu’on ­n’hési­tera pas:», répliqua Hannan en tapotant sa cigarette au-dessus du cendrier. Si c’est dingue, c’est dingue. Mais merde, ils respectent plus la folie que la peur:! Si on les laisse expédier des missiles nucléaires sur nos côtes sans lever le petit doigt, alors on signe l’arrêt de mort des États-Unis:!:»

Le Président ferma les yeux. Et se força à les rouvrir. Il avait vu des villes en flammes et des êtres humains calcinés, réduits à des tas de cendres. Il eut beaucoup de peine à articuler:: «:Je… je ne veux pas être l’homme qui aura déclenché la Troisième Guerre mondiale. Vous le comprenez, ça:?

— Elle a déjà commencé, répliqua Sinclair, élevant la voix. La terre entière est en guerre, et on attend que l’un de nous donne le coup de grâce. Peut-être que l’avenir du monde dépend uniquement de celui qui aura eu le courage de se mon­trer le plus excessif:! Je suis d’accord avec Hans:: si on n’agit pas maintenant, c’est le ciel qui va nous tomber sur la tête:!

— Ils reculeront, affirma Narramore d’un ton catégorique. C’est arrivé auparavant. Si on envoie des sous-marins d’attaque s’occuper de leurs sous-marins, alors ils sauront où est la ligne rouge. Alors:? On attend tranquillement ou on leur montre de quoi on est capables:?

— Monsieur le Président:? insista Hannan en jetant encore un coup d’œil à l’horloge, qui indiquait à présent 22 h 58. Je crois que la décision vous appartient, désormais.:»

Je ne veux pas:! faillit-il hurler. Il avait besoin de temps, pour aller à Camp David, ou bien partir pour une de ces longues expéditions de pêche qu’il aimait tant à l’époque où il était sénateur.

Malheureusement, le temps était compté. Ses mains étaient crispées devant lui. Son visage était si raide qu’il eut peur de le sentir se fissurer et tomber en morceaux tel un masque:; or il n’avait aucune envie de voir ce qu’il y avait dessous. Quand il releva les yeux, ces sommités étaient toujours là, aux aguets, et il sentit que ses sens lui échappaient comme dans un tourbillon.

La décision. Il fallait la prendre, là, immédiatement.

«:Oui.:» Jamais auparavant le mot n’avait résonné de manière aussi effroyable. «:Très bien. On passe…:» Il s’interrompit pour prendre une profonde inspiration. «:On passe en Defcon 2. Amiral, mettez vos forces en alerte. Général Sinclair, je ne veux pas que ces B-1 pénètrent ne serait-ce d’un seul centimètre leur espace aérien. Est-ce bien clair:?

— Mes pilotes peuvent raser leur frontière les yeux fermés.

— Entrez vos codes.:»

Sinclair s’activa sur le clavier de la console, avant de prendre son téléphone pour donner le feu vert au Strategic Air Command à Omaha et au NORAD, dans sa forteresse de Cheyenne Mountain, dans le Colorado. L’Amiral Narramore décrocha le combiné qui le reliait directement au PC des opérations navales au Pentagone.

D’ici quelques minutes, ce serait le branle-bas de combat sur toutes les bases aériennes et navales. Les codes déclenchant le Defcon 2 résonneraient bientôt dans les câbles, et on allait vérifier une nouvelle fois les équipements radar, les capteurs, les moniteurs, les ordinateurs et les centaines d’autres matériels militaires de haute technologie, en même temps que les dizaines de missiles de croisière et les milliers de têtes nucléaires cachés dans leurs silos ­dis­sé­minés dans tout le Midwest, depuis le Montana jusqu’au Kansas.

Le Président était pétrifié. La décision était prise. Le chef de cabinet Bergholz mit fin à la réunion, puis s’avança vers lui pour saisir son épaule en l’assurant que c’était vraiment une bonne, une très bonne décision. Conseillers militaires et hauts fonctionnaires quittèrent la salle de crise pour se diriger vers l’ascenseur du vestibule, mais le Président resta assis, seul. Sa pipe était froide et il n’avait même pas envie de la rallumer.

«:Monsieur le Président:?:»

Il sursauta, tournant la tête en direction de la voix. C’était Hannan, debout près de la porte.

«:Ça va:?

— Paré, dit le Président avec un petit sourire, se souvenant de ses heures de gloire, du temps où il était astronaute. Non, en fait. Mon Dieu, j’en sais rien. Oui, je pense que oui.

— Vous avez pris la bonne décision. Nous le savons tous les deux. Il faut qu’ils comprennent que nous n’avons pas peur.

— Mais moi, j’ai peur, Hans. Je crève de peur.

— Moi aussi. Et les autres aussi. Mais il ne faut pas qu’on se laisse gouverner par cette peur.:» Il revint vers la table et se mit à feuilleter certains des dossiers. Dans quelques minutes, un jeune agent de la CIA allait entrer, chargé de passer l’intégralité des documents à la broyeuse. «:Je pense que vous feriez sans doute bien d’envoyer Julianne et Cory au Sous-sol ce soir, dès qu’ils auront fait leurs bagages. De notre côté, nous allons voir ce qu’on raconte à la presse.:»

Le Président hocha la tête. Le «:Sous-sol:» était un abri antiatomique, dans le Delaware où la Première dame, leur fils de dix-sept ans, ainsi que des membres du cabinet et de l’état-major seraient, du moins l’espérait-on, protégés de tout, sauf d’une éventuelle frappe directe par une tête d’une mégatonne.

Depuis que l’existence de cette construction haut de gamme avait fuité, plusieurs années auparavant, de tels abris souterrains avaient poussé comme des champignons à travers le pays, certains aménagés dans d’anciennes mines, d’autres dans des montagnes. Le business survivaliste était plus que jamais florissant.

«:Il y a un autre sujet à aborder, reprit Hannan tandis que le Président apercevait son propre reflet, celui d’un homme las, aux orbites creusées, dans les lunettes de son secrétaire à la Défense. Les Dents.

— Ce n’est pas encore le moment, gémit-il, l’estomac noué. Pas encore.

— Si. Il est temps. Je pense que vous seriez plus en sécurité au Centre de commandement aérien. La Maison Blanche fera partie des premières cibles. Moi, j’envoie Paula au Sous-sol, et comme vous le savez, vous avez le pouvoir d’y emmener n’importe qui d’autre. Mais, si vous m’y autorisez, j’aimerais être avec vous au Centre de commandement.

— Oui, bien sûr. Il faut que vous restiez avec moi.

— À bord, poursuivit Hannan, il y aura un officier de l’Air Force, qui aura une mallette attachée au poignet par des menottes. Vous connaissez vos codes:?

— Je les connais.:»

Ces codes, cela faisait partie des premières choses qu’il avait mémorisées en prenant ses fonctions. Il sentit comme une main de fer lui paralyser la nuque. «:Mais… je ne vais pas devoir m’en servir, n’est-ce pas, Hans:? demanda-t-il d’un ton presque suppliant.

— Sans doute pas. Mais si c’était le cas, si jamais c’était le cas, il faudra vous rappeler qu’à ce stade, l’Amérique que nous aimons sera morte, et qu’aucun envahisseur n’a jamais, et n’aura jamais mis un seul pied sur notre sol.:» Puis, saisissant l’épaule du Président dans un geste paternel:: «:Vous avez compris:?

— Le point de non-retour… murmura le Président, le regard vitreux et distant.

— Quoi:?

— Nous sommes sur le point de franchir le point de non-retour. Peut-être même l’avons-nous déjà franchi, et qu’il est trop tard pour faire machine arrière. Dieu nous protège, nous volons dans les ténèbres sans savoir où nous allons.

— On le saura quand on y sera. Ça a toujours été le cas jusqu’ici.

— Hans:? interrogea le Président, d’une voix aussi faible que celle d’un enfant. Si… si vous étiez Dieu, vous détruiriez ce monde:?:»
Hannan resta silencieux pendant un moment.

«:Je suppose… que j’attendrais de voir. Enfin, si j’étais Dieu.

— De voir quoi:?

— Qui aura gagné. Les bons ou les méchants.

— Y a-t-il encore une différence:?:»

Hannan marqua une pause. Il fit mine de répondre, et puis comprit qu’il en était bien incapable. «:Je vais appeler l’ascenseur:», lança-t-il avant de sortir de la Salle de crise.

Le Président desserra ses mains crispées. Les éclairages du plafond faisaient scintiller les boutons de manchette marqués du sceau présidentiel qu’il portait toujours.

Je suis paré, se dit-il. Tous systèmes parés.
Et d’un seul coup, quelque chose se brisa en lui et il faillit se mettre à pleurer. Il voulait rentrer chez lui. Mais chez lui, c’était bien loin de ce fauteuil.

«:Monsieur le Président:?:»

C’était Hannan.

Lentement, raide comme un vieillard, le Président se leva et quitta la pièce pour faire face au futur.