Michael McDowell

Lune froide sur Babylon
Prologue

Par un chaud après-midi de juillet 1965, Jim Larkin et sa femme, Jo-Ann, à bord de leur barque verte, remontaient tranquillement le Styx, qui s’écoule dans la portion nord-ouest de la Floride.

Ayant passé quelques heures à pêcher avec indolence dans un de leurs coins préférés, à un kilomètre en aval de leur exploitation de myrtilles, ils ramenaient assez de brèmes pour leur famille et la moitié de Babylon.

La mère de Jim, Evelyn Larkin, désormais veuve, était restée à la ferme et s’occupait de leur fils Jerry, âgé de huit ans, et de leur toute jeune fille, Margaret, née seulement l’année d’avant.

Jo-Ann Larkin, une femme à la peau pâle et aux cheveux roux qui portait toujours du rouge à lèvres grenat et du vernis assorti, même quand elle travaillait la terre, avait déjà commencé à nettoyer les poissons et les écaillait nonchalamment au-dessus de l’eau.

Son mari, le fils unique d’Evelyn, ramait avec lenteur, détournant son visage du soleil. Il devait faire attention aux brûlures et estimait que c’était un véritable fléau pour un fermier et sa femme d’avoir la peau aussi claire.

«:Qu’est-ce que c’est:? demanda Jo-Ann avec curiosité en désignant quelque chose dans l’eau, à quelques mètres d’eux.

— On dirait un sac en toile de jute, répondit Jim, qui fit légèrement tourner la barque pour s’en rapprocher.

— Ce n’est pas un des nôtres, au moins:? Non, ça m’étonnerait. Qui s’amuserait à jeter nos affaires à la rivière:?

— Je n’en sais rien. On devrait le repêcher. Les bons sacs se font de plus en plus rares. Il n’a pas l’air trop mouillé. Il doit venir de tomber à l’eau.:»

Jo-Ann se pencha par-dessus la proue pour s’emparer du sac. Elle le hissa à bord et le lâcha entre elle et son mari. La cordelette qui le maintenait fermé s’était détachée dans la rivière, et il s’ouvrit accidentellement. Avec des bruits de sonnette humide, cinq serpents s’en échappèrent.

Épouvantés, l’homme et la femme reculèrent, repoussant frénétiquement les crotales avec leurs pieds. Chacun fut mordu à plusieurs reprises et l’aurait été plus encore si leur violente panique n’avait pas fait chavirer la barque.

Jim plongea vers le fond et, au bout de quelques secondes, tenta de regagner la surface pour respirer. Mais parmi les brèmes qui flottaient au-dessus de sa tête, il vit les serpents qui attendaient, lovés sur eux-mêmes. Leurs queues ondulaient comme pour l’inviter à remonter. Il perdit conscience et se noya.

Jo-Ann nagea jusqu’à la rive, se mit à ramper et tomba dans des sables mouvants qui, aux abords du Styx, étaient aussi communs que les sangsues. Elle fut lentement aspirée et ne cessa de crier le prénom de son mari.

Mais toutes ses forces l’abandonnèrent lorsqu’elle l’aperçut remonter soudain à l’air libre et osciller entre les poissons morts:: sa tête rejetée en arrière, les yeux grands ouverts, et l’un des serpents en train de se frayer un chemin dans sa bouche béante.

Leurs corps ne furent jamais retrouvés. Le squelette de Jo-Ann, blanc et contorsionné, repose toujours, figé dans le sable trois mètres sous la surface. Jim Larkin, quant à lui, fut entraîné à quelques kilomètres en aval avant de se coincer dans une crevasse rocailleuse du lit de la rivière:; là, les eaux noires et habituellement paresseuses du Styx, en se précipitant dans ce ravin englouti, arrachèrent goulûment la chair pourrissante de ses os.

Evelyn Larkin n’eut rien pour pleurer et enterrer son fils et sa belle-fille. La barque retournée, abritant des sacs en toile et deux crotales noyés, ne laissait pas deviner les circonstances de leurs morts. Un beau matin de juillet, ils avaient descendu le Styx et n’étaient simplement pas rentrés.

Bien qu’elle ne gardât aucun souvenir de ses parents, Margaret n’alla jamais se baigner dans la rivière, effrayée à l’idée d’être entraînée au fond par les cadavres de son père et de sa mère. Et son frère ne traversa plus le pont qui enjambait le Styx sans jeter un regard nerveux aux piles, redoutant d’y voir les corps en décomposition de ses parents.

Cependant, ils ne se firent jamais part de ces terreurs irrationnelles ni n’en parlèrent à leur grand-mère. De son côté, celle-ci resta persuadée que son fils et sa bru seraient un jour retrouvés quelque part le long du cours d’eau tortueux.

Finalement, on éleva une petite pierre tombale dans le carré des Larkin au cimetière de Babylon. Elle fut gravée au nom du couple et portait la simple légende:: EMPORTÉS PAR LE STYX. 14 JUILLET 1965.

 
Lune froide sur Babylon

Michael McDowell

Lune froide sur Babylon
Prologue

Par un chaud après-midi de juillet 1965, Jim Larkin et sa femme, Jo-Ann, à bord de leur barque verte, remontaient tranquillement le Styx, qui s’écoule dans la portion nord-ouest de la Floride.

Ayant passé quelques heures à pêcher avec indolence dans un de leurs coins préférés, à un kilomètre en aval de leur exploitation de myrtilles, ils ramenaient assez de brèmes pour leur famille et la moitié de Babylon.

La mère de Jim, Evelyn Larkin, désormais veuve, était restée à la ferme et s’occupait de leur fils Jerry, âgé de huit ans, et de leur toute jeune fille, Margaret, née seulement l’année d’avant.

Jo-Ann Larkin, une femme à la peau pâle et aux cheveux roux qui portait toujours du rouge à lèvres grenat et du vernis assorti, même quand elle travaillait la terre, avait déjà commencé à nettoyer les poissons et les écaillait nonchalamment au-dessus de l’eau.

Son mari, le fils unique d’Evelyn, ramait avec lenteur, détournant son visage du soleil. Il devait faire attention aux brûlures et estimait que c’était un véritable fléau pour un fermier et sa femme d’avoir la peau aussi claire.

«:Qu’est-ce que c’est:? demanda Jo-Ann avec curiosité en désignant quelque chose dans l’eau, à quelques mètres d’eux.

— On dirait un sac en toile de jute, répondit Jim, qui fit légèrement tourner la barque pour s’en rapprocher.

— Ce n’est pas un des nôtres, au moins:? Non, ça m’étonnerait. Qui s’amuserait à jeter nos affaires à la rivière:?

— Je n’en sais rien. On devrait le repêcher. Les bons sacs se font de plus en plus rares. Il n’a pas l’air trop mouillé. Il doit venir de tomber à l’eau.:»

Jo-Ann se pencha par-dessus la proue pour s’emparer du sac. Elle le hissa à bord et le lâcha entre elle et son mari. La cordelette qui le maintenait fermé s’était détachée dans la rivière, et il s’ouvrit accidentellement. Avec des bruits de sonnette humide, cinq serpents s’en échappèrent.

Épouvantés, l’homme et la femme reculèrent, repoussant frénétiquement les crotales avec leurs pieds. Chacun fut mordu à plusieurs reprises et l’aurait été plus encore si leur violente panique n’avait pas fait chavirer la barque.

Jim plongea vers le fond et, au bout de quelques secondes, tenta de regagner la surface pour respirer. Mais parmi les brèmes qui flottaient au-dessus de sa tête, il vit les serpents qui attendaient, lovés sur eux-mêmes. Leurs queues ondulaient comme pour l’inviter à remonter. Il perdit conscience et se noya.

Jo-Ann nagea jusqu’à la rive, se mit à ramper et tomba dans des sables mouvants qui, aux abords du Styx, étaient aussi communs que les sangsues. Elle fut lentement aspirée et ne cessa de crier le prénom de son mari.

Mais toutes ses forces l’abandonnèrent lorsqu’elle l’aperçut remonter soudain à l’air libre et osciller entre les poissons morts:: sa tête rejetée en arrière, les yeux grands ouverts, et l’un des serpents en train de se frayer un chemin dans sa bouche béante.

Leurs corps ne furent jamais retrouvés. Le squelette de Jo-Ann, blanc et contorsionné, repose toujours, figé dans le sable trois mètres sous la surface. Jim Larkin, quant à lui, fut entraîné à quelques kilomètres en aval avant de se coincer dans une crevasse rocailleuse du lit de la rivière:; là, les eaux noires et habituellement paresseuses du Styx, en se précipitant dans ce ravin englouti, arrachèrent goulûment la chair pourrissante de ses os.

Evelyn Larkin n’eut rien pour pleurer et enterrer son fils et sa belle-fille. La barque retournée, abritant des sacs en toile et deux crotales noyés, ne laissait pas deviner les circonstances de leurs morts. Un beau matin de juillet, ils avaient descendu le Styx et n’étaient simplement pas rentrés.

Bien qu’elle ne gardât aucun souvenir de ses parents, Margaret n’alla jamais se baigner dans la rivière, effrayée à l’idée d’être entraînée au fond par les cadavres de son père et de sa mère. Et son frère ne traversa plus le pont qui enjambait le Styx sans jeter un regard nerveux aux piles, redoutant d’y voir les corps en décomposition de ses parents.

Cependant, ils ne se firent jamais part de ces terreurs irrationnelles ni n’en parlèrent à leur grand-mère. De son côté, celle-ci resta persuadée que son fils et sa bru seraient un jour retrouvés quelque part le long du cours d’eau tortueux.

Finalement, on éleva une petite pierre tombale dans le carré des Larkin au cimetière de Babylon. Elle fut gravée au nom du couple et portait la simple légende:: EMPORTÉS PAR LE STYX. 14 JUILLET 1965.

 
Lune froide sur Babylone

Michael McDowell

Lune froide sur Babylon
Prologue

Par un chaud après-midi de juillet 1965, Jim Larkin et sa femme, Jo-Ann, à bord de leur barque verte, remontaient tranquillement le Styx, qui s’écoule dans la portion nord-ouest de la Floride.

Ayant passé quelques heures à pêcher avec indolence dans un de leurs coins préférés, à un kilomètre en aval de leur exploitation de myrtilles, ils ramenaient assez de brèmes pour leur famille et la moitié de Babylon.

La mère de Jim, Evelyn Larkin, désormais veuve, était restée à la ferme et s’occupait de leur fils Jerry, âgé de huit ans, et de leur toute jeune fille, Margaret, née seulement l’année d’avant.

Jo-Ann Larkin, une femme à la peau pâle et aux cheveux roux qui portait toujours du rouge à lèvres grenat et du vernis assorti, même quand elle travaillait la terre, avait déjà commencé à nettoyer les poissons et les écaillait nonchalamment au-dessus de l’eau.

Son mari, le fils unique d’Evelyn, ramait avec lenteur, détournant son visage du soleil. Il devait faire attention aux brûlures et estimait que c’était un véritable fléau pour un fermier et sa femme d’avoir la peau aussi claire.

«:Qu’est-ce que c’est:? demanda Jo-Ann avec curiosité en désignant quelque chose dans l’eau, à quelques mètres d’eux.

— On dirait un sac en toile de jute, répondit Jim, qui fit légèrement tourner la barque pour s’en rapprocher.

— Ce n’est pas un des nôtres, au moins:? Non, ça m’étonnerait. Qui s’amuserait à jeter nos affaires à la rivière:?

— Je n’en sais rien. On devrait le repêcher. Les bons sacs se font de plus en plus rares. Il n’a pas l’air trop mouillé. Il doit venir de tomber à l’eau.:»

Jo-Ann se pencha par-dessus la proue pour s’emparer du sac. Elle le hissa à bord et le lâcha entre elle et son mari. La cordelette qui le maintenait fermé s’était détachée dans la rivière, et il s’ouvrit accidentellement. Avec des bruits de sonnette humide, cinq serpents s’en échappèrent.

Épouvantés, l’homme et la femme reculèrent, repoussant frénétiquement les crotales avec leurs pieds. Chacun fut mordu à plusieurs reprises et l’aurait été plus encore si leur violente panique n’avait pas fait chavirer la barque.

Jim plongea vers le fond et, au bout de quelques secondes, tenta de regagner la surface pour respirer. Mais parmi les brèmes qui flottaient au-dessus de sa tête, il vit les serpents qui attendaient, lovés sur eux-mêmes. Leurs queues ondulaient comme pour l’inviter à remonter. Il perdit conscience et se noya.

Jo-Ann nagea jusqu’à la rive, se mit à ramper et tomba dans des sables mouvants qui, aux abords du Styx, étaient aussi communs que les sangsues. Elle fut lentement aspirée et ne cessa de crier le prénom de son mari.

Mais toutes ses forces l’abandonnèrent lorsqu’elle l’aperçut remonter soudain à l’air libre et osciller entre les poissons morts:: sa tête rejetée en arrière, les yeux grands ouverts, et l’un des serpents en train de se frayer un chemin dans sa bouche béante.

Leurs corps ne furent jamais retrouvés. Le squelette de Jo-Ann, blanc et contorsionné, repose toujours, figé dans le sable trois mètres sous la surface. Jim Larkin, quant à lui, fut entraîné à quelques kilomètres en aval avant de se coincer dans une crevasse rocailleuse du lit de la rivière:; là, les eaux noires et habituellement paresseuses du Styx, en se précipitant dans ce ravin englouti, arrachèrent goulûment la chair pourrissante de ses os.

Evelyn Larkin n’eut rien pour pleurer et enterrer son fils et sa belle-fille. La barque retournée, abritant des sacs en toile et deux crotales noyés, ne laissait pas deviner les circonstances de leurs morts. Un beau matin de juillet, ils avaient descendu le Styx et n’étaient simplement pas rentrés.

Bien qu’elle ne gardât aucun souvenir de ses parents, Margaret n’alla jamais se baigner dans la rivière, effrayée à l’idée d’être entraînée au fond par les cadavres de son père et de sa mère. Et son frère ne traversa plus le pont qui enjambait le Styx sans jeter un regard nerveux aux piles, redoutant d’y voir les corps en décomposition de ses parents.

Cependant, ils ne se firent jamais part de ces terreurs irrationnelles ni n’en parlèrent à leur grand-mère. De son côté, celle-ci resta persuadée que son fils et sa bru seraient un jour retrouvés quelque part le long du cours d’eau tortueux.

Finalement, on éleva une petite pierre tombale dans le carré des Larkin au cimetière de Babylon. Elle fut gravée au nom du couple et portait la simple légende:: EMPORTÉS PAR LE STYX. 14 JUILLET 1965.

 
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