Publier les livres que nous publions, des outsiders, des parias, des inattendus, des sous-estimés, des inadaptés, des météores, des livres auxquels on tourne le dos, des livres qu’on ne voit pas, des livres qui sortent de nulle part, pas d’un « nulle part » séduisant ou exotique, mais d’un « nulle part » sombre, un peu glauque, douteux, pas engageant, des livres qui véhiculent l’idée d’une certaine difficulté de lecture, qui véhiculent l’idée qu’ils ne vont pas forcément nous apporter un retour sur investissement (les efforts déployés pour les apprivoiser) à la hauteur de ce que nous pensons, des livres qui ne sont pas immédiats, des livres qui ne font pas de cadeaux, des livres qui nous changent alors qu’on veut rester les mêmes… publier ce genre de livres est difficile, épuisant, souvent risqués, on perd de l’argent, du temps, de l’énergie, des lecteurs, des amis. C’est aussi enivrant, un peu fou car il faut inventer, défricher des façons de faire. C’est vertigineux, obsédant, mais c’est surtout possible. Possible.
Parmi les milles jouets que nous avons créés et créerons encore pour faire vivre ces livres, il y a Parler, parler encore.
Publier de tels livres, c’est se présenter devant des gens avec dans les mains un diamant… que personne ne verrait. À la place, ils y voient du charbon, sale, noir et poussiéreux. Ils n’ont pas envie d’y toucher (et je les comprends), ils ont un petit mouvement de recul, hors de question de croire que ça, ça puisse être brillant. C’est là qu’on démarre Parler, parler encore, qui consiste, comme son nom l’indique, à parler, parler encore, du livre, de l’auteur, de l’histoire, du style, de ce que ça provoque, de ce que ça implique, du pourquoi c’est important, du comment ça peut toucher le lecteur, d’où ça sort, où ça va, où ça ne va pas… de dire tout haut ce qu’on a passé des mois et des mois à comprendre (en travaillant sur le livre) et à affiner, peaufiner en phrases sonnantes et convaincantes, en formules qui marquent, sans toutefois la trahir, notre émotion à publier ce livre-là, ce que ça nous fait d’avoir la chance d’être l’éditeur de cet auteur. On s’entraîne sous la douche, dans la voiture, quand personne ne nous écoute, on y pense souvent, on modifie, amende, ajoute. Puis, quand on est prêt, on Parle, parle encore jusqu’à ce que nos mots, nos idées, se pressent sur le charbon, exercent sur sa sale figure suffisamment de pression pour révéler le diamant aux yeux du maximum de personnes, afin qu’à leur tour elles puissent le faire.
Voilà, c’est ça Parler, parler encore. Les premiers sur lesquels nous testons ce jouet, ce sont nos représentants, mais ceux pour qui nous l’avons vraiment inventé, ce sont les libraires.
Pour Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, d’Emil Ferris, j’ai rencontré entre 350 et 400 libraires, parfois 100 d’un coup, parfois en tête à tête, parfois dans une librairie, parfois dans une salle immense et intimidante, parfois en face à face, parfois par téléphone, parfois le matin après 4 heures d’un train pris à l’aube, parfois tard le soir entre deux bières, parfois face à quelqu’un qui pense à autre chose, parfois face à quelqu’un qui ne voit que vous et rien d’autre au monde.
Parler, parler encore est un jouet épuisant mais important, car il permet de transmettre plein de choses, des idées, des sentiments et peut-être quelque chose de plus grand.
Pour Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, ce roman fascinant, le cas est un peu différent, car lorsque je me présente avec devant les gens, ils voient tout de suite que ce n’est pas du papier que j’ai entre les mains, encore moins du charbon, ils voient que j’ai de l’or entre les mains, et si néanmoins je Parle, parle encore c’est pour transformer cet or en passion, en amour.